Les oursins sont présents dans toutes les mers du globe, de l’Arctique aux eaux australes en passant par les récifs coralliens et la Méditerranée. Ils ont colonisé les fonds des zones littorales jusqu’aux zones abyssales. Leur relation avec les hommes est très ancienne puisque depuis la préhistoire les hommes consomment des oursins que ce soit en Asie, particulièrement au Japon, en Europe, surtout en France, ou en Amérique où leurs restes s’observent dans les sites précolombiens. Plus que pour leur intérêt écologique ou comme modèle physiologique, les oursins sont donc souvent connus pour leur qualité gustative et leur place dans les recettes culinaires (on se rappellera qu’Apicius raffolait du corail d’oursin, dont il farcissait les tétines de truie).
Un mets très recherché
Pour répondre à une demande mondiale grandissante, la pêche, au départ traditionnelle dans les zones de consommations coutumières, s’est transformée au cours du XXème siècle en une pêche organisée voire industrielle atteignant plus de 140 000 tonnes par an au coeur des années 1990s. La cause principale de cette demande croissante est la mode des sushis qui inonde les pays industrialisés (sushi Uni), ou l’engouement en Europe pour ce qui est considéré comme la truffe de la mer (se vendant à Paris jusqu’à 6€ pièce dans les meilleures brasseries de la capitale). Cette mode est relayée par de grands chefs mettant à l’honneur ce mets délicat. Les différents genres d’oursins comestibles répartis dans les eaux de toutes les mers du monde (Strongylocentrotus, Loxechinus, Lytechinus, Tripneustes, Paracentrotus) sont donc l’objet de toutes les pressions de pêche qu’elle soit professionnelle ou en amateur. Le succès entraîne souvent des conséquences négatives et les stocks diminuent alors régulièrement et drastiquement dans de nombreux sites, engendrant des baisses de production.
Une ressource en danger
En France, Paracentrotus lividus est l’espèce phare exploitée, que ce soit en Bretagne ou sur les côtes méditerranéennes. La diminution, voire l’effondrement, des populations, qu’elle soit due à la pêche ou à des mortalités massives, inquiète les pêcheurs professionnels, qui en vivent depuis le milieu des années 1980s. Les scientifiques sont mis alors à contribution pour essayer de répondre aux interrogations des usagers et pour proposer des solutions. Ces scientifiques, venant de toute la France sous la baguette des chercheurs marseillais déjà fédérés dans le GIS Posidonie, présentent les résultats de leur recherche et échangent avec les professionnels et les institutionnels grâce à l’organisation d’un colloque à Carry le Rouet en 1987 (Fig.2). L’enjeu est d’estimer les stocks, de comprendre les causes des mortalités, et d’analyser le rôle de ces échinodermes dans le fonctionnement des écosystèmes en étudiant les relations trophiques.
Fig. 1 : Actes du colloque de Carry-le-Rouet, 1987.
Des solutions proposées
Des solutions classiques sont bien sûr mises en oeuvre, en France mais également dans d’autres pays, avec une réglementation plus ou moins stricte de la pêche afin de préserver les stocks. La règlementation porte généralement sur les périodes de collecte, les quotas de pêche autorisés et la taille minimale à respecter, que ce soit pour les professionnels ou la pêche de loisir. Mais, d’autres solutions plus novatrices font l’objet d’études approfondies durant plus de 25 ans. On citera tout d’abord, la plus simple, à savoir la transplantation d’individus de zones riches en oursins mais souvent insalubres et donc non exploitées, vers des zones propices à la croissance et ‘propres’. Dans ces essais, réalisés en particulier à Marseille, il est important d’analyser les capacités des zones d’accueil pour ne pas engendrer de surpopulation de ces herbivores, ayant des conséquences néfastes sur les macrophytes. L’objectif est aussi de déterminer le parcage
nécessaire pour aboutir à une décontamination des oursins avant commercialisation.
Plus complexe, le repeuplement, inspiré du sea-ranching japonais qui associe intimement aquaculteurs et pêcheurs. Les premiers assurent la ponte, la fécondation et l’élevage larvaire des oursins jusqu’à leur métamorphose, les seconds sèment, dans des zones bien précises, des milliers voire des millions de jeunes oursins issus de l’élevage pour les laisser se développer et grossir jusqu’à la pêche quelques années après. Pour que le sea-ranching soit plus efficace, l’introduction des jeunes oursins est parfois accompagnée d’un aménagement de la zone afin de la rendre propice au grossissement grâce à des plantations d’algues ou des constructions de récifs artificiels. Cette méthode est utilisée maintenant à plus ou moins grande échelle dans plusieurs pays comme le Japon, la Chine, les USA ou le Chili et est toujours à l’étude pour certaines zones de Méditerranée française.
Mais c’est l’aquaculture qui mobilise le plus les chercheurs. Ces recherches sont menées simultanément dans le monde entier sur plusieurs espèces d’oursins comestibles avec les mêmes contraintes et les mêmes questionnements. En France, c’est en Atlantique que les premiers essais ont lieu. Des toboggans en circuit fermé et un apport en algues fraîches permettent d’obtenir une croissance assez rapide des oursins. Mais, étant donné que l’approvisionnement en algues fraiches n’est pas aisé dans toutes les zones, les chercheurs menant les essais en Méditerranée, comme dans de nombreux autres pays, optent pour la mise au point d’aliment artificiel. Le défi est de trouver une composition permettant d’obtenir un aliment capable de se maintenir dans l’eau plusieurs heures voire plusieurs jours sans délitement, et engendrant une bonne croissance somatique mais aussi une croissance gonadique importante. Les résultats obtenus dans les années 1990s montrent que, techniquement, l’élevage est possible, mais avec une croissance somatique lente qui rend l’élevage difficile. Et si les aliments artificiels ont l’avantage d’engendrer des gonades très développées tout au long de l’année, les qualités organoleptiques de ces oursins d’élevage (fermeté, couleur, goût) ne sont pas toujours équivalentes à celles des oursins issus du milieu naturel. Beaucoup investissent donc pour trouver une solution permettant de pallier ces défauts. Parallèlement à ces expérimentations à terre, des essais en cages en mer ont aussi eu lieu. En particulier des élevages mixtes oursins/saumons en Ecosse. Malgré cela, l’élevage massif d’oursins n’est pas encore opérationnel à ce jour. On notera tout de même la production d’un aliment spécifique aux oursins aux USA, un brevet d’élevage en mer en cagettes en Irlande ou un petit élevage à terre opérationnel à l’île de Ré. Compte tenu de l’enjeu, les recherches sont toujours en cours aux 4 coins de la planète, et permettront d’aboutir dans un futur peut-être proche.
Fig. 2 : A gauche : oursin P. lividus sur d’algues photophiles à 10 m de profondeur, caractéristique de la côte méditerranéenne française. A droite : les oursins P. lividus ont consommé les algues fixées à la roche découvrant un faciès dit de ‘surpâturage’.
Un équilibre complexe et fragile
Pour pouvoir gérer correctement les ressources, il est nécessaire d’acquérir les connaissances fondamentales sur les différentes espèces. Parallèlement au travail sur la pêche et l’aquaculture, les chercheurs s’investissent pour comprendre le rôle des oursins dans le fonctionnement des écosystèmes en se basant sur des études de populations d’oursins in situ. Les premiers travaux, menés en partie par des chercheurs du GIS Posidonie, portent sur les relations trophiques macrophytes/oursins. Il est montré que les oursins sont des herbivores ayant des préférences alimentaires strictes qui consomment prioritairement des espèces dites ‘préférées’ (souvent des algues brunes) et délaissent des espèces ‘évitées’.
Par leur broutage ils sont donc déterminants dans la dynamique des macrophytes et dans le façonnage des paysages sous-marins. Lorsque les oursins sont très abondants, ils peuvent totalement éliminer les algues dressées et induire des zones dénudées dominées par les algues encroûtantes, réduisant ainsi la biodiversité et les fonctions écosystémiques (Fig. 3). L’abondance des oursins peut donc déterminer la composition, la structure et la persistance des communautés benthiques, qui seront dominées par de grandes macroalgues ou des communautés surpâturées. Le contrôle des populations d’oursins, comme Paracentrotus lividus, est donc fondamental pour comprendre la structuration des communautés benthiques. Le contrôle top-down (de haut en bas) par les poissons prédateurs est mis en évidence grâce à des observations entre aires marines
protégées et non protégées. Mais il semble que d’autres facteurs à basse fréquence comme les maladies ou les évènements extrêmes (e.g. tempêtes, inondations) aient des répercutions très importantes sur les populations de cette espèce clé. Suivre les populations d’oursins à long terme avec des fréquences régulières est donc un élément essentiel, qui doit s’appuyer sur les aires marines protégées comme celles de Carry le Rouet ou de Port-Cros pour mieux connaître le fonctionnement des écosystèmes.
Fig. 3 : L’oursin Sphaerechinus granularis
Auteur : Catherine Fernandez
Retrouvez cette article dans l’ouvrage du GIS Posidonie « Plus de 30 ans au service de la protection et de la gestion du milieu marin« .