Auteurs : Marieke d’Argent, Serena André, Patrick Astruch

1. Eléments de contexte et enjeux

Comme vous le savez probablement, les herbiers à Posidonia oceanica constituent un écosystème d’une importance fondamentale en Méditerranée. Cette espèce marine de plante à fleurs (magnoliophyte) fournit de nombreux services écosystémiques, avantageux tant pour le bien-être de l’Homme que pour l’environnement (Fig.1)

Figure 1. Les services écosystémiques que les herbiers de posidonie rendent à l’homme. Réalisé par : GIS Posidonie ; d’après : Boudouresque C.F. et Pergent C.


Bien qu’il existe plusieurs mesures de protection de la posidonie [1], de nombreuses pressions anthropiques persistent, entraînant à certains endroits une régression de l’herbier, estimée entre 5% et 38%. [2]

En raison de ces enjeux fondamentaux, limiter les pressions et les dégradations de l’herbier de posidonie relève d’un enjeu essentiel, tout en maintenant, facilitant, ou augmentant sa résilience naturelle. En effet, la protection et la conservation constituent la première étape pour préserver les avantages de cette plante marine. Néanmoins, certaines actions de restauration peuvent être nécessaires dans les espaces déjà dégradés par les activités humaines pour soutenir la croissance naturelle relativement lente de cette plante, à condition que les facteurs de dégradations aient disparu et soient maîtrisés.

Il existe trois grands types de restauration de l’herbier de posidonie :

  • À partir de boutures,

  • À l’aide de parcelles/mottes d’herbiers comprenant les sédiments,

  • Et à partir des graines.

La restauration de l’herbier à partir de graines est l’option la plus écologique et relève donc d’un choix pertinent ; cependant, elle nécessite…des fruits ! Survenant tous les 3 à 11 ans, les floraisons n’aboutissent pas toutes à l’étape de fructification, on parle alors de floraison avortée. De plus, une autre partie correspond à des floraisons “isolées”, c’est-à-dire très localisées et en petites proportions. Les fructifications sont donc assez rares ; les floraisons dites massives (concernant la plupart des prairies méditerranéennes nord-occidentales) n’ont été recensées qu’en 1961, 1971, 1975, 1982, 1985, 1993, 2003, 2012 et 2022. Et c’est justement à l’occasion de cette dernière année que le GIS Posidonie a initié un programme de restauration écologique douce de l’herbier de posidonie à partir de la récolte des graines.

En effet, au vu de la floraison exceptionnelle de l’herbier de posidonie qui a eu lieu à l’automne 2022 (La floraison du siècle ? – GIS Posidonie), ainsi que de la fructification qui a suivi pendant l’hiver, de nombreux fruits et graines ont été observés à partir du mois d’avril 2023 en surface et échoués sur les plages (Fig. 2).

Les fruits à flottabilité positive et contenant chacun une unique graine, sont, une fois matures, détachés de la plante et emportés par les courants, formant alors des radeaux en mer (Fig. 2A). Ce processus naturel permet une diversification génétique ; toutefois de nombreux fruits, ramenés vers le littoral par les vagues ou courants, s’échouent sur les plages et sont donc perdus (Fig. 2B).

Le GIS Posidonie a donc profité de ces conditions d’échouage et d’accumulation de fruits et de graines sur les plages pour réaliser un projet de restauration active basé sur la nature, le programme REPOSEED : Restoration of the P. oceanica meadow by seeds (restauration de l’herbier de P. oceanica par les graines).

Figure 2. (A) Fruits formant un radeau en mer dans les Bouches de Bonifacio (Corse-du-Sud) ; (B) Fruits et graines échoués sur une plage en Corse. Crédits photos : GIS Posidonie


2. Méthodologie adoptée

La méthode consiste à récolter les graines contenues dans les fruits de posidonie, ou déjà libérées du fruit, et échouées sur les plages (donc condamnées), afin de les planter.

Non-destructif pour l’herbier, le projet présente aussi l’avantage de contribuer à la diversité génétique de l’herbier. Par ailleurs, opter pour cette méthode, selon un protocole le plus simple et réplicable possible, permettrait d’avoir une première idée de son efficacité, et le cas échéant, de pouvoir la reproduire à plus grande échelle.

Afin de sélectionner les sites adéquats pour cette opération, plusieurs critères de sélection sont préconisés :

En prenant en considération ces trois critères essentiels, deux sites ont été sélectionnés :

  • La Zone de Mouillage et d’Equipements Légers (ZMEL) de la baie de Balistra dans le Golfe de Sant’Amanza (Bouches de Bonifacio, Corse) (Fig.3). Située au sein de la Réserve Naturelle des Bouches de Bonifacio, cette zone, auparavant fortement impactée par l’ancrage, est désormais interdite à l’ancrage ; elle présente par ailleurs une belle dynamique de recolonisation naturelle de l’herbier et une absence de pression d’herbivorie par les saupes.

  • Figure 3. Localisation de la Réserve Naturelle des Bouches de Bonifacio, Corse.


  • La concession des récifs artificiels de la baie du Prado (Rade Sud de Marseille) (Fig. 4). Au sein de cette zone, la limite inférieure de l’herbier est en nette progression depuis une quarantaine d’années. Aucune activité n’est permise dans la concession de récifs artificiels. Globalement, ce site est propice pour tester l’ensemencement des graines en limite inférieure malgré une profondeur relativement importante (-25 m) mais dans un contexte de résilience favorable pour l’herbier.

  • Figure 4. Localisation de la concession des récifs artificiels de la baie du Prado à Marseille


Déroulement :

Le projet a été initié en plusieurs étapes, entre l’automne 2022 et l’été 2023 (Fig. 5). Après avoir confirmé le caractère exceptionnel de la floraison de 2022 et la présence de fruits en abondance, des phases de collecte se sont déroulées sur les plages de Corse et de la Région Sud. Les sites de prélèvement des fruits devaient être situés à 100 km maximum des sites de restauration, afin de respecter la distance maximale parcourue naturellement par les fruits par rapport à la prairie mère. Les graines récoltées ont ensuite été conditionnées dans de l’eau de mer en milieu naturel, avant d’être triées, l’idée étant de limiter au maximum la durée de stockage avant installation.

Les graines ont ensuite été plantées suivant deux protocoles : avec nappe en fibres de coco ou sans, simplement plantées dans la matte morte, et avec deux densités de graines différentes (100 ou 200 par m²) (Fig. 5 et 6.).

Figure 5. Résumé des étapes du projet REPOSEED.


Figure 6. (A) Vue sur les nappes de coco dans la Réserve Naturelle des Bouches de Bonifacio (Corse). (B). Graine de posidonie installée sous une nappe. Crédits photo : GIS Posidonie


3. Perspectives

REPOSEED est donc un projet précurseur. Si la méthode et le protocole employés s’avèrent être un succès, une telle opération pourrait être reproduite à une échelle beaucoup plus large, selon les paramètres qui semblent être les plus favorables à la croissance des graines (avec ou sans nappe de coco ; 100 ou 200 graines par quadrats) et en impliquant les secteurs associatifs et citoyens.

D’après les dernières nouvelles des semis marseillais, quelques semaines après installation des graines, de belles plantules sont déjà observées (Fig. 7).

Figure 7. Croissance des graines de posidonie installées à même la matte morte (sans nappe de coco) après un mois, baie du Prado, Marseille. Crédits photo : GIS Posidonie.


De nouvelles plongées sur les sites marseillais et corse seront réalisées prochainement, au cours du mois de septembre. Par la suite, un suivi à long terme (sur plusieurs années) sera nécessaire pour témoigner de la réussite ou non de l’expérimentation et pour identifier les différences entre les différents protocoles.

Notes

  • [1] Posidonia oceanica est protégée par la loi en France, dans le cadre de la Loi du 10 Juillet 1976 relative à la protection de la nature, par l’arrêté du 19 Juillet 1988 relatif à la liste des espèces végétales marines protégées. Il est interdit “de détruire, de colporter, de mettre en vente, de vendre ou d’acheter et d’utiliser tout ou partie” de la plante. Un texte similaire existe en Catalogne (Ordre du 31 Juillet 1991) ; il ne concerne pas spécifiquement P. oceanica mais l’ensemble des magnoliophytes marines.

  • [2] Pour la période 1960 – 2009 (Boudouresque et al., 2009, Marbà et al., 2009)

Références :

Boudouresque, C. F., Bernard, G., Pergent, G., Shili, A., Verlaque, M. (2009). Regression of Mediterranean seagrasses caused by natural processes and anthropogenic disturbances and stress: a critical review. Bot. Mar. 52, 395–418. https://doi.org/10.1515/BOT.2009.057.

Marbà, N., Diaz-Almela, E., Duarte, C. (2009). Mediterranean seagrass (Posidonia oceanica) loss between 1842 and 2009. Biol. Conserv. 176, 183–190. https://doi.org/10.1016/j.biocon.2014.05.024

Meinesz, A., Caye, G., Locques, F., Macaux, S. (1990). Analyse bibliographique sur la culture des phanérogames marines. Posidonia Newsl. 3, 1–67.

Molenaar, H., Meinesz, A. (1992). Vegetative reproduction in Posidonia oceanica. II. Effects of depth changes on transplanted orthotropic shoots. Marine Ecology, PSZNI, 13(2): 175-185.


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