Auteurs : Camille Carpentier, Mélanie Cabral, Thomas Schohn, Patrick Astruch et Bruno Belloni
1. Mise en place d’une gestion écosystémique sur les herbiers à Posidonia oceanica
XVIIIème siècle : l’Homme au centre des systèmes
La notion de gestion écosystémique est un concept scientifique récent. En effet, si l’on fait un saut dans le temps, et notamment au XVIIIème siècle, l’approche de la Nature était anthropocentrée, c’est-à-dire centrée sur l’Homme. La construction des jardins du château de Versailles, où demeuraient autrefois des bois, des prairies et des marécages reflète la considération de ces milieux naturels à cette époque. Par exemple, les marécages étaient décrits comme « couverts de plantes aquatiques et fétides [qui] ne nourrissent que des insectes vénéneux et servent de repère aux animaux immondes » (Buffon, Histoire naturelle). Ces milieux naturels ont été détruits et réaménagés en parterres longilignes, nécessitant d’énormes travaux pour creuser les bassins et acheminer des arbres déjà grands depuis de nombreuses provinces de France (Boudouresque et al., 2020).
XXème siècle : une approche spécifique
Puis, au cours du XXème siècle, l’étude des systèmes naturels s’est progressivement centrée sur les espèces dites « remarquables » pour de multiples raisons, et notamment pour leur beauté, leur rareté, leur vulnérabilité ou encore leur caractère patrimonial ou emblématique. C’est notamment le cas de certains oiseaux tels que le flamant rose, ou encore les mammifères terrestres ou marins. A contrario, certains groupes taxonomiques étaient moins étudiés tels que les insectes ou encore les arthropodes. Ces études ont créé un biais taxonomique au détriment d’une partie de l’écosystème. Ainsi, se focaliser sur quelques espèces indicatrices n’indique pas l’état écologique du milieu dans lesquelles elles vivent.
XXIème siècle : de l’espèce à l’écosystème
Ce n’est qu’à partir du début du XXIème siècle que cette prise de conscience nait, et que la notion d’approche écosystémique apparait. Une gestion dite « écosystémique » repose sur la prise en compte du fonctionnement des écosystèmes [1] dans leur globalité ainsi que des activités anthropiques pesant ces derniers, afin de réduire l’impact de ces activités tout en préservant un bon état environnemental.
2. Principe de l’EBQI dans un contexte de gestion écosystémique
La gestion écosystémique repose sur l’utilisation de protocoles et d’outils spécifiques, tels que l’indicateur de type EBQI (Ecosystem-based Quality Index ou Indice de Qualité basé sur l’Ecosystème en français). L’EBQI est un indice permettant de rendre compte de la qualité d’un écosystème étudié en considérant l’ensemble de ses compartiments. Les étapes simplifiées de la mise en place d’un EBQI sont les suivantes (Figure 1) :
Le calcul de la note de l’EBQI permet d’apporter une réponse plus complète sur l’état général d’un écosystème et de cibler certains compartiments dont la note est relativement basse, reflétant leur exposition à une ou plusieurs pressions naturelles ou anthropiques, permettant de guider les décisions pour une gestion efficace du milieu. Par exemple, si les compartiments relatifs au peuplement de poissons sont catégorisés comme mauvais, on peut supposer que ce résultat est lié à une pression de prélèvement par la pêche. Ainsi, des mesures de régulation de la pêche pourraient être envisagées [2].
Si tu es curieux d’en savoir plus sur le détail du calcul du score EBQI, n’hésite pas à cliquer sur le lien suivant : Story map
Dans le cadre du projet européen Life Marha [3], le GIS Posidonie évalue l’état de conservation de certains habitats communautaires tels que l’herbier de posidonie, le coralligène, la roche infralittorale à algues photophiles et les grottes sous-marines.
3. Exemple de l’utilisation de l’EBQI sur les herbiers à Posidonia oceanica du site Natura 2000 « Cap Martin »
ETAPE 1 ET ETAPE 2
La présente étude a été commandée par le SMIAGE (syndicat mixte pour les inondations, l’aménagement et la gestion de l’eau maralpin) sur la zone Natura 2000 « Cap Martin » située dans les Alpes-Maritimes afin de connaitre l’état de conservation de l’herbier de posidonie. L’étude a été réalisée sur 3 sites distincts : la baie du Cabbé et la baie de Mortola situées sur les communes de Roquebrune-Cap-Martin et Menton ainsi qu’au niveau de la digue du Vieux-Port de Menton
Le schéma conceptuel pour l’écosystème « herbiers à Posidonia oceanica » utilisé pour cette étude est présenté en Figure 3.
ETAPE 3
Sur chacun de 3 sites étudiés, l’évaluation de l’état écologique de chaque compartiment a été calculé grâce à des mesures réalisées sur le terrain par l’équipe de plongeurs professionnels du GIS Posidonie en juin 2024, ainsi qu’en laboratoire. Ci-dessous sont représentées le détail de ces mesures dans l’objectif d’attribuer une note finale de l’EBQI à chaque site.
ETAPE 4 ET ETAPE 5
Après le traitement des données récoltées sur le terrain, il a été conclu que le statut écologique des sites du Vieux-port de Menton et de la baie de Mortola est moyen (4.5 ≤ EBQI < 6.0) et médiocre pour la baie du Cabbé (3.5 ≤ EBQI < 4.5) (Figure 4). L’indice de confiance est élevé (en moyenne 3.9) pour chacun des 3 sites, permettant de conclure positivement quant à la fiabilité de cette étude.
Les résultats obtenus traduisent des herbiers fonctionnels mais dont certains compartiments sont affaiblis, dans certains cas en raison de facteurs anthropiques (exemple : pression d’ancrage). La différence observée dans les notes de l’EBQI des 3 sites étudiés est en partie imputable à une densité de faisceaux plus faible dans la baie du Cabbé traduisant une plus faible vitalité de l’herbier qui n’est pas liée uniquement à la pression de l’ancrage.
Il sera nécessaire de suivre dans le temps l’évolution de la qualité de l’écosystème herbier de posidonie du site Natura 2000 « Cap Martin » pour évaluer l’efficacité des mesures de gestions à venir notamment concernant l’ancrage.
4. Perspectives
La majorité des études écosystémiques concernant l’herbier à Posidonia oceanica est située dans la région de la Méditerranée nord-occidentale. Tel que mentionné précédemment, l’un des principaux avantages de cette approche est qu’elle est réplicable à tout écosystème étudié, qu’il soit marin, lagunaire ou terrestre (exemples : le coralligène, la roche infralittorale à algues photophiles, les grottes sous-marines, le système dune-plage-banquette, etc.). Récemment, un indice EBQI a ainsi été développé pour un nouvel écosystème : les fonds détritiques côtiers (Astruch et al., 2023).
En plus de la diversité d’écosystèmes que l’EBQI permet d’étudier, cette approche écosystémique est exportable à d’autres régions de la Méditerranée, présentant des contextes biogéographiques différents. Ainsi, plusieurs travaux récents ont appliqué l’EBQI en Grèce, à Chypre ou encore en Israël (Güreşen et al., 2020 ; Bevilacqua et al., 2020 ; Digenis et al., 2022 ; Nikolaou et al., 2023 ; Savin et al., 2023) [2].
L’approche écosystémique traverse même les frontières et est utilisée dans d’autres régions du monde, en commençant par le Canada au niveau du golfe du Saint-Laurent (Ferrario et al., 2021).
Références
Boudouresque, C. F., Astruch, P., Bănaru, D., Blanchot, J., Blanfuné, A., Carlotti, F., et al., (2020). The management of Mediterranean coastal habitats: a plea for a socio-ecosystem-based approach. In Evolution of Marine Coastal Ecosystems under the Pressure of Global Changes: Proceedings of Coast Bordeaux Symposium and of the 17th French-Japanese Oceanography Symposium (pp. 297-320). Springer International Publishing.