Les introductions d’espèces exotiques correspondent à ce que l’on appelle aujourd’hui invasions biologiques, ou encore pollution biologique. Le grand public a été sensibilisé au problème par l’arrivée de Caulerpa taxifolia, mais il faut savoir que C. taxifolia n’est pas la première introduction accidentelle, ni malheureusement la dernière. Le milieu continental, avec surtout les eaux douces, est également touché. En Méditerranée, on recense 350 espèces introduites. Ce qui est préoccupant, c’est que le phénomène s’accélère : les deux tiers des espèces introduites l’ont été au cours des 20 dernières années.
Quelles sont les causes de l’introduction d’espèces exotiques ? Au début, il y a eu ce qu’on appelle le fouling : espèces fixées sur les coques des bateaux et transportées ainsi d’une mer à l’autre. Il y a aussi les eaux de ballast des bateaux Il y a surtout l’aquaculture, avec l’introduction délibérée d’espèces d’intérêt économique, et l’introduction accidentelle de tout leur cortège (par exemple avec le naissain de l’huître japonaise). Il y a enfin les aquariums (on a vu le cas de Caulerpa taxifolia).
Les conséquences économiques de l’introduction d’espèces peuvent être graves. Quelques exemples : en introduisant l’huître japonaise, on aurait introduit un virus, dont elle était “porteur sain”, qui a exterminé l’huître portugaise (il y a débat sur la question : la thèse officielle a longtemps été que l’on avait introduit l’huître japonaise pour remplacer l’huître portugaise décimée par ce virus). En introduisant l’huître japonaise, on a également introduit des quantités d’animaux et d’algues fixés sur ses coquilles, dont la sargasse géante, qui est source de nuisances : les ostréiculteurs doivent parfois utiliser des engins motorisés pour en débarrasser les parcs et elle gène la navigation. La moule zébrée, introduite dans les grands lacs du Nord des Etats Unis, colmate les canalisations, les canaux, etc ; ses dégâts d’ici l’an 2000 sont estimés à 5 Milliards de dollars.
Les conséquences de l’introduction des espèces ne sont pas uniquement d’ordre économique ; elles peuvent être écologiques : compétition avec des espèces ou des peuplements indigènes qu’elles peuvent éliminer. Il semble que ce soit le cas de Caulerpa taxifolia, qui élimine rapidement les peuplements d’algues indigènes, et un peu moins rapidement (quelques années) les herbiers de posidonie, l’écosystème le plus important de Méditerranée. Les conséquences sont également d’ordre éthique : se dirige-t-on vers une uniformisation planétaire des paysages ? Nous n’accepterons sans doute pas, même si des espèces introduites produisaient autant que les espèces qu’elles remplacent, de voir une forêt d’Eucalyptus à la place des sansouires de Camargue, des taillis de figuier de barbarie à la place des landes à bruyère de Bretagne, pas plus qu’un MacDonald’s ou un hypermarché à la place de Notre Dame de Paris (même si, par hypothèse, cela s’avérait plus rentable économiquement).
La législation est très insuffisante. Les Etats-Unis viennent d’adopter une législation exceptionnellement sévère sur les eaux de ballast, suite à l’introduction de la moule zébrée. En France et en Espagne, on vient d’interdire l’utilisation et la commercialisation de Caulerpa taxifolia ; mais rien n’est encore fait pour toutes les introductions potentielles liées à l’aquaculture et l’aquariologie : on peut acheter n’importe quelle algue ou animal de n’importe où dans le monde pour son aquarium, aucun contrôle, aucune restriction n’étant prévus contre les risque de relachage dans l’environnement. La France est de ce point de vue la “plate-forme de débarquement” des espèces introduites en Europe, en raison d’une législation ou de contrôles particulièrement laxistes : pour ce qui concerne les algues marines, plus de 50% de toutes les introductions en Europe sont arrivées d’abord en France (avant de gagner d’autres pays, car les espèces, une fois introduites, ne connaissent pas les frontières administratives …). Un exemple de laxisme : lorsque des conchyliculteurs importent du naissain d’huître japonaise, la décontamination du naissain est confiée aux aquaculteurs eux-mêmes, sans aucun contrôle.
Une réflexion doit s’engager entre toutes les parties concernées afin de minimiser les risques, sans pour autant porter atteinte à des activités économiques essentielles (navigation, aquaculture, aquariologie). Le CIEM a élaboré un “code de bonne conduite” pour l’aquaculture, qui n’est malheureusement qu’un ensemble de recommandations sans valeur légale. Pour la Méditerranée, la CE (DG XII) et la CIESM ont engagé une réflexion de même type, qui devrait déboucher sur des amendements à la “Directive habitat” de 1992.
Vincent Gravez et Charles-François Boudouresque (2004)