La prise de conscience du risque que représente l’expansion continue de Caulerpa taxifolia s’est accompagée d’une réflexion – locale puis internationale – sur les moyens de maîtrise du phénomène. S’il apparaît clairement que l’éradication de l’ensemble des colonies de Caulerpa taxifolia en Méditerranée n’est plus réaliste, une stratégie de ralentissement et de contrôle de son expansion doit être adoptée. Partout où une telle stratégie a été mise en place, des opérations de contrôle ou de ralentissement des colonies ont pu être réalisées avec succès.

Caulerpa taxifolia : éléments de synthèse – (partie 4/6)

Les éléments d’une stratégie pour le contrôle de l’expansion de Caulerpa taxifolia sont pour la plupart recommandés par les différents comités français créés pour la lutte contre Caulerpa taxifolia, comme par le Comité permanent de la Convention de Berne, ou encore par les scientifiques réunis à Héraklion par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement.
Interdire son utilisation en aquariologie

Très tôt les biologistes marins ont émis l’hypothèse que la première colonie de Caulerpa taxifolia provenait du rejet en mer d’un aquarium. En effet, si les principaux vecteurs d’introduction sont bien connus (aquaculture, eaux de ballasts et salissures des coques des navires, migration lessepsienne), aucun ne permettait d’expliquer de manière satisfaisante l’arrivée de l’espèce sur nos côtes. La possibilité d’une implantation de Caulerpa taxifolia par le rejet du contenu d’un aquarium avait d’ailleurs été vérifiée lors de la découverte, en 1992 dans le port des Lecques (Var), d’une colonie au milieu de coraux tropicaux morts qui lui servait de support.

Or, cette souche “aquariologique”, appréciée pour sa vigueur et sa résistance au froid, est aujourd’hui encore présente dans de nombreux aquariums dans le monde.
La maîtrise de la source première d’introduction de Caulerpa taxifolia, consiste donc à éviter que d’autres individus puissent être rejetés en mer et passe, pour cela, par l’interdiction de l’utilisation de l’espèce dans les aquariums. Cette mesure a été l’une des premières adoptée en Espagne (dès 1992 pour la Catalogne) comme en France (mars 1993). Il est actuellement interdit de posséder cette espèce dans un aquarium, de la vendre et même de la transporter. En Australie et aux Etats-Unis, C. taxifolia est également interdite à l’importation.
Malgré ces interdictions, l’espèce peut aujourd’hui encore être achetée dans de nombreux magasins d’aquariologie ou présentée dans des aquariums privés et publics. Ainsi donc, outre l’adoption de textes d’interdiction, il est nécessaire que les réglementations reçoivent une publicité suffisante et soient, le cas échéant, suivies de contrôles.

Dans l’absolu, et considérant l’accélération du nombre des introductions, les organismes internationaux de protection de l’environnement proposent de remplacer les listes d’espèces interdites, pour lesquelles un risque est mis en évidence (Dirty lists en anglais), par des listes d’espèces autorisées (Clean lists) pour lesquelles l’absence de risque a été confirmé.

Les recommandations émises à Héraklion (PNUE) proposent ainsi d’interdire l’ensemble des espèces du genre Caulerpa à l’exception de l’espèce commune en Méditerranée Caulerpa prolifera. Cette mesure permettrait en outre de faciliter les opérations de contrôle car cette dernière espèce, à l’inverse des autres espèces de Caulerpa, est aisément identifiable.
Information et sensibilisation

L’information et la sensibilisation des usagers sont des outils primordiaux dans une stratégie de suivi et de ralentissement de l’expansion d’une espèce introduite.

Pour Caulerpa taxifolia, ces actions de sensibilisation sont plus particulièrement ciblées vers les plaisanciers (petite navigation côtière de proximité, croisières de longue distance), les métiers de la pêche, les clubs de plongée et le tourisme estival. Leurs objectifs sont, d’une part, l’adoption de nouvelles pratiques en mer, qui limitent les risques de dissémination de Caulerpa taxifolia et, d’autre part, l’appel à la signalisation de nouvelles colonies lorsqu’elles sont découvertes.

Ainsi, chaque année, depuis 1991, plus de 200 000 dépliants (disponibles dans les capitaineries des ports), affiches et vidéogrammes, en 8 langues, ont été diffusés auprès de la population littorale de 7 pays méditerranéens. Outre la présentation de l’algue, la cinétique et les conséquences de son expansion, deux messages principaux sont délivrés :

1, “si vous la rencontrez, signalez-la !”

Un réseau de suivi cartographique a en effet été mis en place et différents organismes sont mobilisés pour recueillir les signalisations, valider la présence des nouvelles colonies et en faire le suivi cartographique dans le temps. Pour chacune des régions concernées, les coordonnées de ces organismes sont indiquées dans les documents correspondants.

2, “évitez de la disséminer !”

Les activités de l’homme en mer sont en effet l’un des principaux vecteurs de dissémination de {Caulerpa taxifolia}. Un fragment de l’algue, accroché à un filet, une ancre, un équipement de plongée sous-marine, ne doit pas être rejeté en mer mais à terre dans un conteneur à ordure. De-même certaines activités doivent être évitées au-dessus des prairies de Caulerpa taxifolia, tel le mouillage des navires de plaisance ou la pêche au moyens d’engins traînants (petits chalut, ganguis).
Quel est l’efficacité des campagnes de sensibilisation ?

Le renouvellement régulier des campagnes d’information et de sensibilisation – sur des supports spécifiques -, l’homogénéité des messages délivrés et le contact régulier avec les usagers concernés sont des éléments qui augmentent la perméabilité du public aux messages délivrés.

On remarque par ailleurs, sur la base des suivis cartographiques, que la plus grande partie des colonies connues à ce jour (99%) a été découverte puis signalée par des usagers sensibilisés au cours des campagnes d’information. En outre, dans plus de 70% des cas, les nouvelles colonies signalées présentaient des surfaces inférieures à 20 m², c’est à dire à un stade précoce de colonisation.

Bien que le nombre de nouvelles colonies découvertes augmente toujours régulièrement (24, en France, ces deux dernières années) on aurait pu s’attendre à une augmentation plus forte, en rapport avec le nombre de foyers de dissémination (10 zones largement atteintes, en France). Il n’est pas interdit de penser qu’il s’agit là d’un effet positif des mesures préconisées dans les documents de sensibilisation.

S’il apparaît nécessaire dans l’avenir de pérenniser les opérations d’information et de sensibilisation (comme cela est actuellement le cas, en France, dans le cadre de l’Observatoire national de suivi de l’expansion de Caulerpa taxifolia), il apparaît également important de mobiliser les points de distribution : administrations de la mer, autorités portuaires, offices du tourisme, centres nautiques et de manière générale l’ensemble des points d’accueil du public susceptibles de diffuser l’information.

La prise en compte des appels à signalisation et l’adoption des nouvelles pratiques conseillées sont des actes volontaires qui ne sont concrétisés qu’en fonction de la perception par l’usager de l’utilité de son acte. Cette prise de conscience peut donc être renforcée par “l’officialisation” des messages délivrés, en incluant par exemple des instructions dans les formations obligatoires (permis de navigation) ou les documents de bords (livres de bord, cartes nautiques).
Les suivis cartographiques

C’est par le suivi cartographique des colonies de Caulerpa taxifolia et la connaissance de l’état de l’expansion des colonies que peuvent être planifiées, puis financièrement dimensionnées, les interventions de contrôle.

Les nouvelles colonies sont le plus souvent signalées par le biais de la sensibilisation. Toutefois, sur des secteurs ciblés de littoral ou des secteurs “sensibles” (zones de mouillages, ports), des missions de surveillance systématique sont réalisées. Actuellement, toutes les stations découvertes en Méditerranée sont suivies régulièrement, en plongée sous-marine ou au moyen de caméras vidéo – tractées par des navires – pour les zones les plus profondes. L’ensemble des informations recueillies alimente, depuis 1991, un Système d’Information Géographique (SIG) et est régulièrement publié sous forme de rapports cartographiques dans le cadre de l’Observatoire de l’expansion de Caulerpa taxifolia, soutenu par le Conseil régional Provence-Alpes-Côte-d’Azur, le Ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement et l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse.

Les informations cartographiques collectées sont capitales. Elles permettent avant tout de connaître la cinétique du phénomène et son étendu spatiale. Des travaux de modélisation informatique, visant à prévoir l’expansion d’une colonie à partir d’une contamination initiale, sont actuellement en cours.

Ces informations, ainsi que les renseignements tels que la profondeur où se trouve la colonie, sa proximité par rapport à d’autres colonies de grande envergure, le type de substrat sur lequel elle se trouve ou la vulnérabilité du site permettent également de statuer sur le bien fondé d’une opération de contrôle.
Soutenir les équipes chargées de recueillir les signalisations, prévoir des campagnes de prospection

La vitesse de dissémination et d’expansion géographique des colonies de {Caulerpa taxifolia} rendent le travail de suivi cartographique difficile à réaliser. Il est donc nécessaire de soutenir les équipes chargées de recueillir les signalisations des usagers, et de prévoir des campagnes de prospection, de cartographie, de saisie informatique et d’analyse des données, en France comme dans les autres pays actuellement concernés.

L’enlèvement manuel, effectué par des plongeurs sous-marins professionnels est actuellement la seule technique pour laquelle existe, en France, un protocole opératoire validé au niveau national, et finalisé par le Parc National de Port-Cros.

La facilité avec laquelle l’algue se régénère à partir de fragments isolés rend cette opération délicate. L’éradication (c’est-à-dire l’élimination totale et définitive) de l’algue n’est alors possible que lorsque la totalité de l’algue et de ses fragments a été effectivement enlevée de la zone traitée.

Le succès des enlèvements manuels

Un certain nombre de sites ont ainsi été préservés avec succès. Ceci a été le cas de certains sites de plongée sous-marine où l’enlévement minutieux des stolons isolés, identifiés par les clubs de plongée, a permis de ralentir l’implantation et l’expansion de Caulerpa taxifolia. Cette méthode, mise en oeuvre dans un site d’importance patrimoniale, le Parc national de Port-Cros, a également permis un contrôle effectif de colonies de surface inférieure à 10 m². L’expansion de Caulerpa taxifolia y a ainsi été stoppée.

Le succès de l’enlèvement manuel dépend fortement de la nature du substrat : sur un substrat meuble (sable, vase, matte morte de Posidonie), c’est la totalité du support de l’algue qui doit être découpé sur une dizaine de centimètres d’épaisseur, afin de garantir que l’ensemble des parties de l’algue enfouies dans le sédiment est enlevé. Sur un substrat qui présente de nombreuses anfractuosités (roche, herbier de posidonie), le succès des opérations reste, en revanche, incertain.

On estime le rendement moyen d’une telle opération à un mètre carré de C. taxifolia par heure et par plongeur. En outre, dans la plupart des cas, ces opérations doivent être répétées chaque année afin d’éliminer les repousses issues de fragments passés inaperçus.

D’autres techniques sont utilisées…

En Espagne et en Croatie, sur des surfaces plus importantes, des suceuses hydrauliques sous-marines ont été utilisées. Elles permettent d’aspirer, et de stocker dans un conteneur, l’algue et son substrat. Cette opération présente un rendement bien supérieur à l’arrachage manuel (14 à 37 m² par heure), mais nécessite une logistique lourde (notamment un groupe électrogène en surface) et reste, en outre, beaucoup moins efficace : de nombreux fragments sont laissés sur place et parfois même disséminés autour du site traité.

Une troisième méthode est également utilisée en Croatie : les colonies de Caulerpa taxifolia sont recouvertes de films opaques, qui arrêtent totalement la lumière. Installés au début de l’hiver, ils sont laissés en place durant trois mois, jusqu’à la mort des colonies recouvertes. Cette méthode ne peut toutefois être utilisée que dans des sites faiblement agités où les films, lestés et fixés au niveau du fond, ne peuvent être arrachés par les tempêtes hivernales. L’installation des films est aisée en plongée sous-marine (de l’ordre de 15m²/heure) c’est leur fixation sur le fond qui représente la tache la plus importante.

Plusieurs autres méthodes sont développées

Parmi les méthodes, imaginées et testées pour la lutte contre Caulerpa taxifolia, on citera le faucardage, le chalumeau, la carboglace, la dénaturation par eau chaude, l’injection d’hypochlorite de sodium, l’utilisation d’ultrasons ou encore l’épandage de chlorure de sodium. Mais ces méthodes ne permettent pas d’intervenir sur des colonies très étendues. Il s’agit donc plutôt de contrôler la colonisation, à un stade très précoce, de sites localisés.

Actuellement, les techniques les plus prometteuses cherchent à utiliser le pouvoir algicide de l’ion cuivrique (Cu2+), déjà utilisé depuis longtemps, en agriculture. Les chercheurs ont ainsi pu mesurer expérimentalement le haut degré de sensibilité de Caulerpa taxifolia au cuivre (un seul gramme suffit pour tuer 10 kg, en masse humide, de Caulerpa taxifolia), par comparaison avec d’autres espèces végétales méditerranéennes. Le cuivre est un élément toxique qu’il convient d’utiliser avec discernement.

Les opérations de contrôle réalisées pour l’instant sur des surfaces extrêmement réduites n’impliquent, de fait, qu’un enrichissement très localisé du milieu en cuivre. Il convient toutefois de suivre dans le temps, l’évolution des teneurs en cuivre dans le milieu environnant à l’issue d’une intervention.

Plusieurs équipes travaillent ainsi à la mise au point de méthodes qui permettent de maîtriser et de minimiser l’apport en ion cuivrique en le faisant agir directement au niveau des colonies de Caulerpa que l’on désire éliminer.

Pour ce faire, différents prototypes ont été élaborés; il s’agit (i) de couvertures plastiques dont une des faces est imprégnée d’une solution de cuivre qui diffuse au contact des colonies à traiter, (ii) d’enceintes composées d’électrodes (anode et cathode en cuivre) qui, une fois mises sous tension, réalisent un bain électrolytique traversé par les ions cuivre, (iii) de la diffusion d’une solution de cuivre suffisamment saturée en chlorure de sodium pour que l’augmentation de sa densité en permette le confinement sur le fond au niveau de la colonie de Caulerpa taxifolia.
De manière générale, pour toutes les méthodes présentées ci-dessus, le succès d’une intervention dépend fortement de la nature du substrat.Les substrats meubles (sables, vases) et présentant peu d’anfractuosités sont ceux pour lesquels les meilleurs résultats ont été observés alors que les substrat durs ou les herbiers de posidonie eux-même ne permettent pas de garantir le succès des interventions.

La profondeur du site à traiter est également l’un des facteurs importants à prendre en compte : le temps d’intervention des plongeurs sous-marin, diminue en effet fortement avec des profondeurs croissantes.

Les périodes hivernales semblent être les périodes d’interventions optimales, au moins pour les méthodes mécaniques, dans la mesure où les chances de régénération d’une bouture arrachée y sont beaucoup plus faible qu’en période de croissance (période estivale).

Enfin, le facteur temps, entre le moment de la découverte de nouvelles colonies de Caulerpa taxifolia et celui de l’intervention pour leur contrôle, est un élément fondamental. Dans la plupart des cas, les nouvelles colonies signalées représentent une surface de quelques mètres carrés seulement ; l’investissement nécessaire à leur contrôle croît proportionnellement à l’extension de l’algue.

Sans intervention, l’expansion d’une nouvelle colonie devient ainsi hors de contrôle à court terme (5 ans) et peut présenter un effet notable sur les activités humaines et le patrimoine naturel, à moyen terme (>10 ans). Dans tous les cas, les interventions recquièrent des suivis réguliers.

Le coût de ces opérations – supporté par la communauté – doit donc être considéré comme récurrent, aspect récurrent qui, toutefois, caractérise toutes les interventions de l’homme, en milieu continental comme en milieu marin : lutte contre les incendies de forêts, éradication de la Jussie dans les eaux douces, lutte contre les marées noires, etc.

Des protocoles opératoires pour la mise en oeuvre des opérations de contrôle doivent être mis au point puis validés (contrainte des techniques utilisées, méthodes de cartographies, maîtrise du risque de dissémination, mise en oeuvre des suivis). Les structures chargées de les coordonner devront être identifiées, comme cela se fait pour la lutte contre les pollutions par exemple.

A côté des méthodes physiques ou chimiques, une autre voie de recherche est constituée par la lutte biologique, c’est-à-dire la limitation des peuplements de l’algue par un organisme vivant (un agent de lutte) tel qu’un consommateur. Cette méthode de lutte est utilisée, avec des succès divers, dans le milieu continental, pour la protection des cultures ou des milieux naturels face à des espèces considérées comme nuisibles.

En Méditerranée, Caulerpa taxifolia est peu consommée par la faune et parmi les organismes qui la broutent occasionnellement, aucun n’a pour l’instant établi de populations suffisamment importantes pour en limiter l’expansion. C’est dans les mers tropicales que deux petites limaces marines – consommatrices habituelles et exclusives d’algues du genre Caulerpa – ont pu être découvertes ; elles pourraient un jour constituer un agent de contrôle biologique. Cependant, avant de pouvoir tenter d’introduire en Méditerranée des populations suffisamment grandes et viables de ces limaces, les scientifiques doivent garantir, de façon expérimentale, que la prédation sur l’algue sera suffisante pour permettre un ralentissement de son expansion ou même une réduction de la prairie de C. taxifolia, et surtout que ces espèces ne risquent pas de nuire, directement ou indirectement, aux espèces indigènes.

Le texte de ce document est issu du document suivant : BERNARD G., GRAVEZ V., & BOUDOURESQUE C.F., 2000.- Caulerpa taxifolia : éléments de synthèse. Plaquette Direction Régional de l’Environnement, PACA, Programme LIFE DG XI – 95/FA.3.1./EPT/782 & GIS Posidonie. GIS Posidonie publ., Marseille, Fr. : 28 p.

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