La souche de Caulerpa taxifolia qui colonise la Méditerranée présente des adaptations qui la rendent très compétitive. Elle est susceptible de coloniser de très nombreux types de fonds et son expansion peut avoir une influence sur les habitats, la biodiversité marine et certaines activités humaines. La toxicité de l’algue lui procure un avantage supplémentaire dans la compétition avec les espèces de Méditerranée ; aucun risque pour la santé humaine n’est toutefois mis en évidence.

Caulerpa taxifolia  : éléments de synthèse – (partie 2/6)

Lorsque Caulerpa taxifolia s’implante, ses axes rampants et ses rhizoïdes tissent rapidement une couverture compacte qui piège les sédiments et stoppe la lumière. Le substrat devient peu à peu inaccessible aux autres organismes fixés, aux autres algues en particulier. Une prairie monotone et pauci-spécifique (pauvre en espèces) à Caulerpa taxifolia peut ainsi remplacer la vingtaine de communautés et de faciès algaux existant généralement dans les petits fonds.

Dans l’hypothèse où l’expansion de Caulerpa taxifolia en Méditerranée se poursuive, il ne peut être exclu qu’un certain nombre d’espèces de l’étage infralittoral (étage qui s’étend généralement de la surface à 30-40 m de profondeur et qui héberge la majeure partie de la biodiversité algale) soient menacées de disparition à long terme : c’est le cas en particulier de plusieurs espèces d’algues du genre Cystoseira (espèces protégées par la Convention de Berne).

Caulerpa taxifolia pénètre et colmate l’herbier de posidonie, l’un des écosystèmes les plus importants de Méditerranée. L’installation de C. taxifolia est toutefois moins rapide dans les herbiers de posidonie que dans les peuplements d’algues sur roche. Elle ne semble coloniser que les zones les plus clairsemées de l’herbier et ne s’implante que sporadiquement au sein de l’herbier dense.

En automne cependant, les frondes de Caulerpa taxifolia, à leur maximum de développement, masquent la lumière. L’issue de la compétition entre les deux végétaux (pour l’espace et la lumière) est actuellement en cours d’étude.

Ce type de peuplement hégémonique peut se traduire par un fort appauvrissement en terme d’écodiversité et de biodiversité.
Sous la notion globale de biodiversité, on entend la diversité du monde vivant à tous les niveaux : diversité génétique, diversité des espèces, diversité des fonctions (herbivores, carnivores, etc.) ou encore la diversité écologique (écodiversité ou diversité des écosystèmes). La biodiversité constitue le fondement des écosystèmes et permet leur fonctionnement. Or sous l’effet direct ou indirect des activités humaines, de nombreuses espèces disparaissent, et cette tendance s’accélère ; les répercussions de ces modifications peuvent s’étendre à l’ensemble des espèces, directement ou indirectement liées, ainsi qu’à l’homme in fine. Une diminution des ressources exploitables peut ainsi être la conséquence de telles modifications, alors perceptibles à l’échelle humaine. La conservation de la biodiversité est donc aujourd’hui une priorité à l’échelle planétaire.

Quelles que soient les connaissances dont on dispose sur l’impact des introductions d’espèces sur le milieu naturel, le principe de précaution, édicté lors de la conférence sur la diversité biologique (Rio, 1992) suffit à justifier que l’expansion de Caulerpa taxifolia soit prise en compte.
Celui-ci stipule que…
“en cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives, visant à prévenir la dégradation de l’environnement …”

Les fonds sédimentaires sans végétation sont également un milieu propice à la colonisation par Caulerpa taxifolia. Son implantation peut provoquer de profondes modifications des caractéristiques physico-chimiques et biotiques du substrat : envasement, enrichissement en matière organique, établissement de conditions anoxiques (pénurie en oxygène) avec comme conséquence une modification de la faune endogée (=qui vit dans le substrat).

Les premières observations réalisées sur les peuplements du coralligène (peuplements à algues calcaires, sur lesquels sont fixés les grandes formes d’invertébrés comme les gorgones et le corail) semblent également indiquer un impact important. Elles doivent être confirmées par des études spécifiques.

La petite faune d’invertébrés qui vit dans les peuplements algaux est fortement modifiée par l’installation de Caulerpa taxifolia et la disparition du peuplement algal originel ; les observations réalisées sur quelques groupes d’animaux (les mollusques, les crustacés amphipodes et les vers polychètes) montrent que leurs populations y sont en général plus ou moins fortement réduites, en nombre d’individus comme en nombre d’espèces, par rapport aux peuplements de référence (peuplements indigènes). Il en va de même pour l’oursin comestible Paracentrotus lividus qui peut disparaître totalement des prairies denses de C. taxifolia.

Il faut enfin souligner que dans les zones les plus anciennement colonisées, la richesse en espèces, la densité et l’abondance du peuplement de poissons sont maintenant significativement plus faibles que dans les zones proches encore indemnes. Sur substrat meuble, toutefois, la diversité en espèces et l’abondance des peuplements de poissons peuvent augmenter, et pour certaines espèces, les prairies à Caulerpa taxifolia semblent constituer un milieu favorable, au moins pour une partie de leur cycle de développement.

Il est donc inexact de dire qu’il n’y a plus de poissons dans les prairies de C. taxifolia, cependant il est certain qu’il s’agit d’une modification profonde des peuplements et d’une diminution globale de leur abondance. D’une manière générale, on observe une uniformisation des peuplements de poissons.

On peut estimer que ces incidences sur la faune seront amplifiées à long terme par la poursuite de la colonisation, avec des modifications telles que la réduction des ressources pour les espèces herbivores, et donc indirectement les espèces carnivores, ou encore la perte des habitats et des abris.

Le succès compétitif de Caulerpa taxifolia vis-à-vis des espèces indigènes est sans doute dû à sa taille, à la densité des peuplements qu’elle constitue, à sa vitesse de croissance, aux changements physico-chimiques et biotiques qu’elle induit, mais également aux substances chimiques qu’elle synthétise. Caulerpa taxifolia, comme de nombreux végétaux, synthétise des substances toxiques qui la protègent des prédateurs (herbivores) et parfois des compétiteurs (autres espèces d’algues qui s’installent sur les mêmes types de fond).

Neuf substances toxiques ont été découvertes chez la souche méditerranéenne de C. taxifolia, parmi lesquelles la caulerpényne qui est majoritaire (0,1 à 13% du poids sec).

Pour tester la toxicité d’une substance, des “modèles” expérimentaux sont utilisés (cellules ou organismes vivants) sur lesquels la réponse aux composés est observée. La caulerpényne présente des effets antiviraux, antifongiques, cytotoxiques, ichtyotoxiques, répulsifs ; elle inhibe en particulier le développement des oeufs d’oursins.

Les études menés in vitro ont permis de démontrer que la caulerpényne peut se diffuser en petites proportions dans l’eau de mer (la caulerpényne n’est pas hydrosoluble) et contaminer ainsi l’eau entourant les prairies denses de C. taxifolia. Elle est ensuite rapidement dégradée sous l’effet de la lumière, en présence d’oxygène et de chlorophylle, pour donner naissance à une famille de composés qui, toutefois, présentent encore une certaine toxicité (sur les oeufs d’oursins en particulier).

Les souches de bactéries marines présentent également des sensibilités différentes aux toxines synthétisées par Caulerpa taxifolia. En milieu naturel, une sélection en faveur des populations de bactéries gram-négatives a été montrée dans les zones fortement colonisées par C. taxifolia. Une modification des populations bactériennes, base de la chaîne alimentaire, dans le milieu naturel pourrait avoir des répercussions indirectes importantes sur l’ensemble de la chaîne alimentaire.
Pour le moment, aucun risque potentiel de toxicité pour l’homme n’a été démontré. Aucune accumulation des toxines de Caulerpa taxifolia le long de la chaîne alimentaire n’a été mise en évidence ; les espèces herbivores consommées par l’homme – essentiellement la saupe et l’oursin comestible – préfèrent éviter Caulerpa taxifolia et ne la consomment, dans tous les cas, qu’à la saison où celle-ci présente une faible concentration en toxines.

Enfin, si certaines espèces de caulerpes sont recherchées en Asie pour leur consommation comme condiments (Caulerpa lentilifera), ce n’est pas le cas de Caulerpa taxifolia ce qui exclut, a priori, les risques d’intoxication directe par ingestion.

Quinze ans après son introduction en Méditerranée, dans les stations où elle est devenue dominante, Caulerpa taxifolia peut constituer une gêne sérieuse pour la pêche artisanale et la plongée sous-marine.

Certains pêcheurs des zones fortement colonisées, dans les Alpes-Maritimes en particulier (prud’homie de Menton/Roquebrune/Cap Martin) attribuent aux peuplements de C. taxifolia une diminution de la ressource et donc une diminution des prises (jusqu’à -50% selon les déclarations). Le colmatage des fonds rocheux par C. taxifolia et donc la perte d’abris pour les poissons des petits fonds pourrait être à l’origine de cette baisse des prises.

En outre, les filets calés dans les secteurs densément colonisés par C. taxifolia se chargent de fragments de frondes et perdent ainsi de leur efficacité : “le poisson voit le filet”. Ils sont rendus lourds à manipuler et leur nettoyage est long et difficile (trempage dans l’eau douce pendant une dizaine de jours puis séchage à l’air libre). Le temps nécessaire à ces manipulations réduit d’autant les temps de pêche !

Certains pêcheurs déclarent ainsi avoir été obligés d’investir dans l’achat de plusieurs jeux de filets, qui sont utilisés par rotation, ou d’adapter leur technique de pêche à des secteurs plus profonds. Or, les petites unités exerçant dans ces zones sont essentiellement armées pour la petite pêche artisanale.

Dans les secteurs les plus touchés, les professionnels semblent peu optimistes quant à la pérennité de l’activité (au moins pour la petite pêche côtière). En décembre 1998, l’un des patrons pêcheurs de la prud’homie de Menton est venu témoigner de l’inquiétude de la profession face à l’expansion de C. taxifolia, lors d’une réunion à l’Assemblée nationale. En Italie, la situation a conduit les pêcheurs professionnels de Ligurie (mieux représentés que dans les Alpes-Maritimes) à demander une déclaration de “catastrophe naturelle” pour leur zone d’activité.

Dans les secteurs moins touchés, comme le Var, les pêcheurs professionnels disent toutefois ne pas ressentir l’impact de la présence de Caulerpa taxifolia sur leurs prises, la pêche ne se pratiquant peu ou pas sur les secteurs fortement colonisés.

L’expansion de Caulerpa taxifolia constitue également une gêne pour la plongée sous-marine. Les clients des clubs de plongée ont une motivation principalement esthétique et c’est la beauté paysagère des sites, la diversité des organismes, la beauté des couleurs, qui sont déterminantes.

Dans les zones colonisées, les vastes prairies denses et monotones de C. taxifolia font perdre tout leur attrait aux petits fonds rocheux habituellement recouverts d’une grande diversité de peuplements algaux, ou aux tombants coralligène lorsqu’ils sont dépouillés de leurs gorgones.
Les clubs de plongée des Alpes-Maritimes, qui sont généralement de petites structures de type associatif, évitent maintenant d’aller sur les fonds colonisés par Caulerpa taxifolia.

Enfin, certains ports colonisés par Caulerpa taxifolia risquent d’être confrontés à des surcoûts pour certaines opérations d’entretien. L’envasement des bassins portuaires entraîne un exhaussement des fonds qui rend nécessaire leur dragage périodique. Les produits de dragage sont généralement, après expertise et autorisation, rejetés au large. Le rejet en mer des vases de port, contenant des fragments de C.taxifolia, représente un risque de dissémination important qu’il est nécessaire d’éviter. La solution alternative, le transport puis le stockage à terre des produits de dragage dans des décharges, représente cependant un coût triple en comparaison avec celui du rejet en mer.

Pour éviter la dissémination de Caulerpa taxifolia, des secteurs fortement colonisés peuvent se voir interdits au mouillage, à la navigation, ou au chalutage. C’est déjà le cas de trois secteurs du Var (Porquerolles, Port d’Hyères à la Capte, Le Brusc).

Dans les zones où Caulerpa taxifolia devient l’un des peuplements dominants des fonds littoraux, elle peut donc occasionner un manque à gagner pour les pêcheurs professionnels, mais elle représente également une “gêne” pour d’autres activités telle que la diminution de l’attrait des sites de plongée. L’évaluation socio-économique de cette gêne n’a pas encore été déterminée, mais une étude est actuellement en cours (BEC E., BOUDOURESQUE C.F., GRAVEZ V., LUCHINI S., 2002.- Expansion de Caulerpa taxifolia en Méditerranée : évaluation de l’incidence économique et représentations sociales d’une pollution biologique. Ministère de l’environnement, France, Fr : 194 p.). L’expansion continue de l’algue, posera la question de façon cruciale dans un avenir proche.

Le texte de ce document est issu du document suivant : BERNARD G., GRAVEZ V., & BOUDOURESQUE C.F., 2000.- Caulerpa taxifolia : éléments de synthèse. Plaquette Direction Régional de l’Environnement, PACA, Programme LIFE DG XI – 95/FA.3.1./EPT/782 & GIS Posidonie. GIS Posidonie publ., Marseille, Fr. : 28 p.

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