Autour des aires marines protégées (AMP) de la côte française méditerranéenne, la pêche professionnelle côtière est à la fois une activité traditionnelle et une activité qui s’adapte en permanence à la recherche de conditions de travail meilleures, à la raréfaction du poisson et aux modifications légales et réglementaires imposées localement, au niveau national ou par l’Union Européenne. Cette adaptation se fait par une mutation progressive des pratiques, des rythmes de pêche, des espèces cibles, des matériaux utilisés pour les engins et de l’armement des embarcations.

Afin de remplir simultanément les objectifs de conservation de la faune marine et de contribuer à la gestion durable des ressources exploitées, les gestionnaires d’aires marines protégées doivent réguler les activités de nature extractive, qu’elles soient de nature professionnelle ou récréative, sur les territoires dont ils ont la gestion. Les gestionnaires des aires marines protégées ont ainsi besoin d’éléments leur permettant de connaître et donc de qualifier et de quantifier l’effort de pêche pratiqué dans leurs eaux, de façon régulière dans le temps, pour en suivre l’évolution. Pour suivre l’évolution dans le temps et l’espace des données propres à leurs réserves, il est indispensable de procéder aux mêmes évaluations pour les zones avoisinantes de biotope similaire, donc offrant des habitats identiques et disposant de peuplements semblables a priori mais ne bénéficiant pas d’une protection particulière. La comparaison est ainsi rendue possible et autorise l’analyse de l’effet des mesures de gestion.

A l’exception des études ciblées de l’IFREMER sur la pêche aux petits métiers (Le Corre en particulier pour la Méditerranée), le peu de données sur la pêche côtière en Méditerranée française, disponibles dans la littérature, sont principalement collectées dans le contexte des aires marines protégées et essentiellement publiées sous forme de rapports (Rigo, 2000 ; Santoni, 2002 ; Le Diréach et Cadiou (2002, 2004, 2007) ; Le Diréach et al., (2008, 2009), Mouillot et al., 2007 ; Rocklin et al., 2009). Les premiers suivis sur l’effort de pêche aux « petits métiers », remontent à 1990 à Port-Cros tout d’abord (Aboussouan & Rico, 1990 ; Aboussouan & Boutin, 1993 ; Francour et al. (1999), Bonhomme et al., (2008, 2009, 2010, 2011, 2013) ; Cadiou et al. (2001; 2002; 2003; 2004 ; 2005 ; 2006 ; 2008), et à Carro-Cap Couronne pour la région de Marseille (Jouvenel & Bachet, 1995; 1998; 2002 ; 2004 ; Leleu, 2011). Des travaux similaires sont menés à Banyuls depuis 2001 (Criquet, 2001) et aux îles Lavezzi et Bouches de Bonifacio depuis 1995 (Culioli, 1995; Rigo, 2000; Santoni, 2001; Ehlinger, 2001; Rocklin, 2007, 2011; Nardini 2010). Un déficit de données est à déplorer dans les zones non régulées.

Les données collectées dans le cadre des suivis de la pêche artisanale généralement au débarquement ou lors d’embarquements participent à l’effort général de collecte de données de référence quant à la liste des espèces pêchées, les tailles et les poids des captures pour une maille donnée, des valeurs de biomasse capturée par type d’engin et par sortie à une période donnée de l’année. Ces données sont une source d’informations précises sur le peuplement ichtyologique local. C’est un indicateur utile à la gestion. Souvent les chiffres figurant dans les rapports ne peuvent permettre une extrapolation par saison, à l’année ou par bateau, car ils correspondent à des sorties ponctuelles et trop peu nombreuses dans le courant de l’année pour pouvoir appréhender les variabilités saisonnières et annuelles naturelles. Néanmoins, ces relevés comportent de nombreus données qualitatives et quantitatives, dont les ordres de grandeur peuvent être comparés avec les données d’autres secteurs en Méditerranée, pour des échantillonnages à la même saison. Ces suivis, s’ils perdurent constituent donc un précieux recueil de données échelonnées dans le temps.

Les données concernant les tailles et les poids des captures, qui sont ainsi collectées, ne permettent pas d’analyser l’évolution d’un stock d’une espèce donnée. Ce travail est celui des halieutes et nécessite l’emploi de modèles mathématiques et l’utilisation de données nombreuses sur la biologie des espèces et d’années de suivi avant de pouvoir porter diagnostic sur l’état d’un stock. En revanche, les données de tailles et de poids engrangées dans le cadre de ces suivis  peuvent, le cas échéant, permettre de préciser localement les relations taille/poids des espèces les plus abondantes.

Les données de suivi de pêche peuvent utilement compléter les données de comptages visuels en densité, biomasse et taille généralement collectées dans et autour des réserves, car elles concernent aussi d’autres espèces. La liste des espèces capturées et les données de tailles et de poids précieusement conservées seront utiles pour des comparaisons ultérieures en ce qui concerne les espèces capturées par la pêche professionnelle.

Sans que cet objectif ait été le plus souvent défini avec les gestionnaires d’aires marines protégées, ni spécialement assigné aux scientifiques, ce travail participe à la concertation avec les pêcheurs professionnels pour une meilleure gestion de la réserve et un maintien ou un développement d’activités de pêche compatibles avec les objectifs de conservation et de protection du patrimoine naturel, qui sont ceux des aires marines protégées. Les échanges qui ont lieu au cours des embarquements permettent de bien connaître la typologie de la pêche professionnelle, l’évolution des pratiques, de sensibiliser les pêcheurs sur les tailles, les impacts potentiels de certaines pratiques et de faire également remonter auprès du gestionnaire les perceptions concernant les mesures de gestion, les conflits d’usage autour de la réserve marine et l’état des ressources.

Ainsi, le Parc national de Port-Cros et la réserve naturelle de Scandola se sont dotés, grâce à ce type de suivi, de références pour apprécier l’efficacité de sa gestion dans le contexte local de la pêche côtière qui leur seront utiles pour mettre en place un tableau de bord. Les fluctuations naturelles spatiales et temporelles des ressources sont tellement nombreuses, qu’il demeure cependant difficile de situer précisément le niveau d’exploitation des espèces pêchées par ce simple suivi. C’est par le croisement des données issues du suivi pêche et du suivi poissons que gestionnaires et scientifiques peuvent envisager de poursuivre dans la voie d’une bonne gestion locale des peuplements.