La phanérogame marine Posidonia oceanica est présente le long de la plus grande partie des côtes de la Méditerranée, dont elle est endémique. Elle y constitue, entre le voisinage de la surface et 30-40 m de profondeur (localement moins) de vastes prairies connues sous le nom d’herbiers. Les herbiers à Posidonia oceanica jouent un rôle écologique et économique très important en Méditerranée : (1) pôle de biodiversité (entre 20 et 25% des espèces animales et végétales connues de la Méditerranée y ont été observées) ; (2) production primaire très importante (à la fois celle de la phanérogame elle-même et celle des épiphytes des feuilles) ; une grande partie de cette production (près de 40%) est exportée vers d’autres types de fonds, sous forme de feuilles mortes ; (3) frayère et nurserie pour de nombreuses espèces, en particulier pour des poissons d’intérêt économique ; (4) fixation des sédiments dans le lacis des rhizomes (matte), atténuation de l’énergie de la houle et des vagues et contrôle du profil d’équilibre des rivages sableux (MOLINIER et PICARD, 1952 ; PERES et PICARD, 1964 ; BOUDOURESQUE et MEINESZ, 1982 ; BOUDOURESQUE et JEUDY DE GRISSAC, 1983 ; JEUDY DE GRISSAC, 1984 ; ROMERO-MARTINENGO, 1983, 1985 ; MAZZELLA et al., 1986 ; PERGENT, 1987 ; CHESSA et al., 1989 ; GAMBI et al., 1989 ; FRANCOUR, 1990 ; PAILLARD et al., 1993 ; PERGENT et al., 1994 ; etc)

Les herbiers à Posidonia oceanica ont fortement régressé, au cours des dernières décennies, dans de nombreux secteurs de Méditerranée, principalement au voisinage des grands centres industrialo-portuaires (Athènes, Napoli, Genova, Nice, Toulon, Marseille, Barcelona, etc), mais aussi dans des secteurs relativement éloignés de ces centres urbains, par exemple les baies de Port-Man et de Port-Cros, Var, France (AUGIER et BOUDOURESQUE, 1970a, 1970b ; BLANC et JEUDY DE GRISSAC, 1978 ; BOURCIER, 1982, 1989 ; ARDIZZONE et PELUSI, 1983 ; RAMOS-ESPLA, 1984 ; PANAYOTIDIS et SIMBOURA, 1989 ; etc). Les causes de cette régression sont multiples (PERES et PICARD, 1975 ; BOUDOURESQUE et MEINESZ, 1982 ; PERES, 1984) : recouvrement des herbiers par des aménagements littoraux gagnés sur la mer tels que ports, digues, plages artificielles, endigages (MEINESZ et LAURENT, 1978), déficit ou excès de sédimentation dû à la modification des courants, consécutivement à des aménagements littoraux (BOUDOURESQUE et JEUDY DE GRISSAC, 1983), diminution de la transparence de l’eau due à l’eutrophisation ou à la turbidité (MEINESZ et LAURENT, 1978 ; ASTIER et TAILLIEZ, 1984 ; RELINI, 1986), pollution (DARMOUL et al., 1979 ; AUGIER et al., 1984), ancrages (AUGIER et BOUDOURESQUE, 1970a), chalutages (ARDIZZONE et PELUSI, 1984) et enfin surpâturage par des herbivores tels que l’oursin {Paracentrotus lividus }ou le poisson Sarpa salpa (KIRKMAN et YOUNG, 1981 ; VERLAQUE, 1987). L’agrandissement du port de Golfe-Juan (Alpes-Maritimes, France) a par exemple causé la destruction de 15 ha d’herbier.

Dans certaines baies abritées, la dynamique de croissance de P. oceanica a conduit à l’édification de récifs-barrières séparés de la côte par un lagon (MOLINIER et PICARD, 1952 ; BOUDOURESQUE et MEINESZ, 1982). Ces récifs-barrières, dont l’édification nécessite plusieurs millénaires, sont considérés comme des “monuments naturels”. La plupart de ces récifs-barrières ont été détruits par des aménagements littoraux, souvent à des dates très anciennes. Le dernier à avoir été détruit est celui de Bandol (France), qui a été recouvert par un terre-plein gagné sur la mer (BLANC, 1975). Les principaux récifs-barrières qui subsistent en France sont ceux de la baie de Port-Cros (AUGIER et BOUDOURESQUE, 1970b), du Brusc (MOLINIER et PICARD, 1952) et de la Madrague de Giens (PAILLARD et al., 1993). Deux autres types de paysages édifiés par P. oceanica apparaissent comme particulièrement vulnérables : les herbiers tigrés décrits du golfe de Gabès en Tunisie (BOUDOURESQUE et al.,1990) et le plateau-récifal de San-Fiurenzu (Saint-Florent) en Corse (BOUDOURESQUE et al., 1985).
Mesures de protection légale

L’importance écologique des herbiers à Posidonia oceanica rend leur régression particulièrement préoccupante. C’est la raison pour laquelle P. oceanica apparaît sur les listes d’espèces menacées (BELSHER {et al., }1987 ; BOUDOURESQUE et al., 1990), bien que ce ne soit pas l’espèce en elle-même mais l’écosystème qu’elle édifie qui soit menacé.  Posidonia oceanica est protégée par la loi en France, dans le cadre de la Loi du 10 Juillet 1976 relative à la protection de la nature, par l’arrêté du 19 Juillet 1988 relatif à la liste des espèces végétales marines protégées : il est interdit “de détruire, de colporter, de mettre en vente, de vendre ou d’acheter et d’utiliser tout ou partie” de la plante. Un texte similaire existe en Catalogne (Ordre du 31 Juillet 1991) ; il ne concerne pas spécifiquement P. oceanica mais l’ensemble des phanérogames marines. Le Livre Rouge des végétaux menacés de Méditerranée (BOUDOURESQUE et al., 1990) et les experts du colloque Les espèces marines à protéger en Méditerranée (ANONYME, 1991 ; PERGENT, 1991) ont recommandé l’extension de la protection de P. oceanica à l’ensemble des pays riverains de la Méditerranée.

Des textes plus généraux protègent les herbiers. En France, le décret du 20 Septembre 1989 (code de l’urbanisme, dispositions particulières au littoral) indique que “sont préservés, dès lors qu’ils constituent un site ou un paysage remarquable ou caractéristique du patrimoine naturel et culturel du littoral, sont nécessaires au maintien des équilibres biologiques ou présentent un intérêt écologique : … les milieux abritant des concentrations naturelles d’espèces animales ou végétales tels que les herbiers …”. Dans la Communidad Valenciana (Espagne), l’Ordre} du 23 Janvier 1992 interdit “la destrucción de las praderas de fanerogámas marinas, por ser zonas de interés pesquero”. Lors de la deuxième Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE), tenue à Paris en 1991, les états participants se sont engagés à “prendre acte que les signataires de la Convention de Barcelone se sont engagés à adopter toutes les mesures appropriées pour la protection des peuplements de Posidonia oceanica et de toutes les autres phanérogames marines qui constituent des végétaux essentiels de l’écosystème méditerranéen, et à contrôler et réglementer la pêche au chalut et les autres activités entraînant la destruction des Posidonia et de toutes les autres phanérogames marines”. Enfin, la Directive de l’Union Européenne du 21 Mai 1992 sur la conservation des habitats naturels et de la faune et de la flore sauvages (dite “Directive habitat”) inclut les herbiers à Posidonia dans son Annexe 1 (Natural habitat types of Community interest whose conservation requires the designation of special areas of conservation), avec la mention “priority habitat type”.

Des mesures de protection particulières des derniers récifs-barrières qui subsistent, tout particulièrement celui du Brusc (Var), du plateau récifal de San Fiurenzu (Corse) et des herbiers tigrés du golfe de Gabès (Tunisie) ont été recommandées par BOUDOURESQUE et al. (1985, 1990).

Charles François BOUDOURESQUE, Vincent GRAVEZ, Alexandre MEINESZ, Heike MOLENAAR, Gérard PERGENT et Pierre VITIELLO