Le GIS Posidonie – Un précurseur des Réseaux de Surveillance
Au début des années 1980s, les gestionnaires, les scientifiques et les politiques prennent conscience de la dégradation du milieu marin et plus particulièrement des écosystèmes littoraux. De nombreux projets destinés à améliorer cette situation (construction de stations d’épuration, création d’aires marines protégées, mise en place d’une législation plus contraignante, etc.), sont initiés. Mais comment évaluer l’impact de ces mesures coûteuses et vérifier leur efficacité ? Si quelques réseaux de surveillance existent, ils concernent essentiellement le suivi de la qualité physico-chimique ou bactériologique de l’eau de mer, mais en aucun cas le suivi des écosystèmes.
C’est également au cours de cette période que les connaissances scientifiques confirment le rôle majeur joué par l’herbier de posidonie dans les équilibres littoraux et mettent en exergue sa sensibilité aux pressions humaines et sa régression à proximité des grands centres urbains et industriels. Cet écosystème emblématique de la Méditerranée va devenir en quelques années l’objet de toutes les attentions et son suivi apparaît comme une priorité pour les acteurs du milieu marin.
Fruit d’une collaboration exemplaire entre les services de l’Etat (Cellules Qualité des Eaux Littorales), la Région Provence Alpes Côte d’Azur et les scientifiques, coordonné par le GIS Posidonie, le premier Réseau de Surveillance Posidonies (RSP) est initié en 1984 avec le double objectif , (i) de surveiller à long terme l’évolution de l’état des herbiers de posidonies, et (ii) d’utiliser ces herbiers comme indicateur biologique de la qualité globale des eaux littorales. Dans un premier temps ce sont 24 sites qui sont ainsi surveillés le long de ce littoral, en limite supérieure (près de la côte) et inférieure (extension bathymétrique maximale), puis 33 quelques années plus tard. C’est ensuite en Corse, en 2004, que le GIS Posidonie est chargé de mettre en place un réseau similaire dans 30 sites dans le cadre d’une collaboration avec l’Office de l’Environnement de la Corse ; ce réseau est renforcé en 2012 par la mise en place de 8 nouveaux sites dans la Réserve Naturelle des Bouches de Bonifacio.
Le succès du RSP déborde les frontières puisqu’il est étendu dès la fin des années 1980s en région Euro-Méditerranée (Espagne, Italie et Grèce) à travers le programme COST 647, puis, dès 1995, dans l’ensemble du bassin méditerranéen grâce aux initiatives du Centre d’Activités Régionales pour les Aires Spécialement Protégées (CAR-ASP) et plus particulièrement depuis l’adoption du Plan d’Action pour la Conservation de la Végétation Marine en Mer Méditerranée du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (Plan d’Action pour la Méditerranée) et la mise en place d’un programme spécifique MEDPOSIDONIA (Algérie , Tunisie, Libye et Turquie). Le RSP est aujourd’hui utilisé, avec une certaine variabilité d’un pays à l’autre, dans douze pays méditerranéens et plus de 360 sites et bénéficie d’une approche actualisée et standardisée (Fig. 1). Suivant l’exemple de la Méditerranée, un nouveau réseau de suivi des herbiers de magnoliophytes marines au niveau mondial, le SeagrassNet (Global Seagrass Monitoring Network), voit le jour dans les années 2000s, il concerne 126 sites dans 33 pays, dont deux en Méditerranée.
Au-delà du RSP au sens strict, les méthodes développées et validées par les scientifiques sont aujourd’hui classiquement utilisées pour évaluer la vitalité de l’herbier de posidonie et l’utiliser comme un bio-indicateur particulièrement performant (e.g. Directive Cadre sur l’Eau, Directive Habitat Faune Flore, suivi de l’impact des aménagements littoraux, évaluation de la qualité écologique d’un site, etc.).
Fig. 1 : Principaux Réseaux de Surveillance Posidonies mis en place en Méditerranée.
Une méthode éprouvée et régulièrement optimisée
Deux zones de l’herbier sont particulièrement prises en compte : la limite supérieure – qui correspond à la portion d’herbier la plus proche de la côte – et la limite inférieure – qui correspond à l’extension bathymétrique maximale – car elles constituent en effet des secteurs particulièrement sensibles à toutes modifications du milieu. La surveillance de ces limites est réalisée de manière à disposer d’un repérage précis de leur position dans l’espace et dans le temps, et sont complétées par l’analyse de descripteurs de la vitalité de la plante. Au début des années 2000s une troisième zone située à 15 m de profondeur est ajoutée afin de disposer d’une profondeur intermédiaire homogène sur tous les sites.
Le suivi des limites supérieures a bénéficié au cours de ces trente dernières années de progrès technologiques permettant de passer d’une interprétation manuelle à partir d’orthophotoplans en niveaux de gris à un traitement d’images couleur géoréférencées et leur intégration dans un système d’informations géographiques très précis.
Dans le même temps, les balisages mis en place en limite inférieure sont localisés de façon beaucoup plus précise (le GPS remplace les alignements remarquables) et la qualité des prises de vues sous-marines (caméras haute résolution) permet de disposer d’une image, verticale et horizontale, très précise et reproductible de l’ensemble de la limite (Fig. 2).
Enfin, la stratégie retenue dans la définition, la validation et l’interprétation des descripteurs de vitalité de l’herbier permet de disposer d’échelles d’évaluation de plus en plus précises et d’indices synthétiques permettant également d’évaluer la qualité de la masse d’eau dans laquelle les herbiers se développent. Certains indices ne nécessitent plus le recours à des prélèvements et l’évaluation de la vitalité peut être réalisée in situ, sans aucun dommage pour la plante (espèce protégée).
Fig. 2 : Assemblage de photographies verticales pour préciser la structure de la limite inférieure de l’herbier à Posidonia oceanica (Balises 1 à 2, îles Lavezzi – Corse).
Si la précision des données acquises lors de la mise en place du RSP ‘Corse’ est plus importante que celle du RSP ‘PACA’, la stratégie reste la même et les résultats peuvent être facilement comparés. En outre, ces évolutions s’accompagnent également par la mise au point de protocoles standardisés simplifiés (au niveau technique et financier) pouvant être mis en œuvre dans l’ensemble des pays méditerranéens et permettant de disposer ainsi d’une base de données à l’échelle du bassin. Ainsi, à l’initiative du CAR/ASP quatre pays du Sud et de l’Est du bassin ont pu initier un RSP dans le cadre du programme MEDPOSIDONIA (2006-2009). A l’heure où de nouvelle techniques, souvent très onéreuses et moins précises, sont proposées aux gestionnaires, la méthode du RSP reste une valeur sure, validée par les parties contractantes à la Convention de Barcelone pour suivre les herbiers de Méditerranée.
Les premiers enseignements du RSP
Les résultats enregistrés globalement à l’échelle de la Région PACA, sur une vingtaine d’années, sont contrastés. En effet, si de manière générale le nombre de sites en régression en limite supérieure diminue de façon drastique (de 42% entre 1988-1990 à 8% entre 2000-2002), il augmente légèrement en limite inférieure (de 50% à 67% au cours du même intervalle de temps) ; il est toutefois intéressant de noter que le pourcentage de limites inférieures qui progressent reste stable pour l’ensemble de la période (33%). Une analyse plus détaillée des données met en évidence des différences notables entre secteurs, notamment en réponse aux modifications des conditions de milieu. Ainsi, dans la région de Marseille, suite au détournement de l’Huveaune et à la mise en service d’une station d’épuration, les limites inférieures progressent significativement (Marseille-Prado, Marseille-Cortiou), alors qu’à Golfe-Juan la construction d’un nouveau port, en 1988, semble être à l’origine d’une régression régulière de cette limite. D’autre part, il est intéressant de noter que ce sont les limites inférieures les plus profondes qui sont concernées par ces régressions.
Les autres réseaux de surveillance mis en place plus récemment par le GIS Posidonie ou en collaboration avec lui, permettent de disposer d’un état de référence précis (Figure 3). Leur suivi est d’ores et déjà programmé (2012-2013 pour le RSP Corse) ou en cours d’instruction (MEDPOSIDONIA, CAR/ASP). En effet, il faut garder à l’esprit que la mise en place d’un réseau de surveillance constitue la première étape et que seule la disponibilité de séries chronologiques longues constitue un outil irremplaçable pour suivre et comprendre l’évolution de l’herbier de posidonies et le milieu dans lequel il se développe. Aussi, la pérennisation des RSP doit apparaître comme une priorité dans les futures actions à envisager d’autant plus qu’en termes de moyens, ce suivi est généralement moins lourd que la phase de mise en place. Loin de constituer une ‘économie’, l’interruption du suivi de ces réseaux de surveillance constituerait un gaspillage considérable à l’heure où les gestionnaires et les politiques ont besoin d’informations de plus en plus précises sur l’état du milieu littoral (Directive Habitat Faune Flore, Directive Cadre Stratégie pour le Milieu Marin de l’Union Européenne).
Enfin, depuis quelques années, plusieurs auteurs s’opposent à propos de la régression des herbiers de posidonie et sur les conséquences qui en découleraient au niveau du bassin Méditerranéen (perte des fonctionnalités des herbiers, impact sur le climat – puits de carbone). Toutefois, l’ampleur et éventuellement la réalité même de ces régressions méritent une analyse critique car les valeurs annoncées doivent être considérées avec prudence au regard des connaissances actuelles, encore très fragmentaires, sur la répartition (présente et surtout passée) de l’herbier de posidonie en Méditerranée. Dans cette optique, il apparaît indispensable de disposer d’états de références précis à l’échelle de l’ensemble du bassin et de leur suivi au cours du temps. Les RSP demeurent un outil particulièrement pertinent pour répondre à cette question.
Fig. 3 : Balise mise en place le long de la limite inférieure de l’herbier à Posidonia oceanica des îles Kerkennah (Tunisie).
Auteurs : Gérard Pergent et Mary-Christine Bertrandy
Retrouvez cette article dans l’ouvrage du GIS Posidonie « Plus de 30 ans au service de la protection et de la gestion du milieu marin« .