La plupart des textes législatifs ou des Conventions mentionnés ci-dessus ne sont que des recommandations assez vagues qui n’ont pas été suivies d’effets. Les surfaces d’herbiers à P. oceanica inclues dans des espaces protégés restent ainsi dérisoires ; il convient de citer principalement la Réserve de Nueva Tabarca (Espagne), le Parc national de Port-Cros, la Réserve naturelle de Scandola et la Réserve des Lavezzi-Cerbicale (AUGIER et BOUDOURESQUE, 1975 ; RAMOS-ESPLA, 1985 ; MEINESZ et al., 1987, 1988). La régression des herbiers se poursuit le long de la majorité des côtes méditerranéennes. Un seul récif-barrière est protégé pour l’ensemble de la Méditerranée, celui du Parc national de Port-Cros (AUGIER et BOUDOURESQUE, 1970b ; BOUDOURESQUE et al., 1975). Seule la protection légale de P. oceanica, en tant qu’espèce, a eu un effet déterminant. En France, aucun aménagement littoral impliquant la destruction d’un herbier à P. oceanica n’a été réalisé depuis 1988. Il a toutefois été considéré que des mattes mortes avec quelques faisceaux isolés ou taches résiduelles de P. oceanica ne constituaient pas un herbier, ce qui constitue une interprétation acceptable des textes de protection; c’est le cas de l’aménagement de la plage de Corbière, à Marseille (CREBASSA, 1992). Deux cas sont particulièrement exemplaires. Le premier cas est celui du port privé de J. SETTON à Cavallo (Corse), construit sans permis et ayant occasionné la destruction d’une tache de 10 m² de P. oceanica; l’un des cinq délits relevés par le Tribunal de Grande Instance d’Ajaccio est “mutilation de végétaux protégés, ainsi que dégradation des espèces” (PERGENT, 1991) ; J. SETTON a été condamné (jugement N° 90 du 2 Février 1990) à de fortes amendes, à détruire les postes d’amarrage et à la reconstituer le linéaire côtier, par fermeture du chenal d’accès (sur une profondeur de deux mètres) dans un délai de 6 mois ; notons toutefois qu’en 1994, le chenal a simplement été barré par une chaîne et que le linéaire côtier n’était pas encore reconstitué. Le second cas exemplaire, tout à fait inverse, est le projet d’agrandissement du port de la Pointe-Rouge, à Marseille ; la ville de Marseille a fait procéder au préalable à une cartographie précise des herbiers à Posidonia oceanica du secteur (FRANCOUR et MARCHADOUR, 1989). Cette carte, ainsi que le texte de l’arrêté de protection de P. oceanica, étaient joints à l’appel d’offre. Le projet d’ouvrage évite effectivement les zones occupées par P. oceanica. Même la mise en place du câble électrique reliant l’île de Port-Cros (Var) au continent a fait l’objet d’une cartographie des herbiers en place (MEINESZ et BELLONE, 1989) ; le trajet sous-marin du câble a ensuite été déterminé de façon à minimiser la traversée de l’herbier. En Catalogne, la Direcció General de Pesca Marítima a fait procéder en 1992 à une cartographie générale (au 50 000°) des herbiers de phanérogames marines (et autres types de fonds) de l’ensemble du littoral catalan (700 km), afin de pouvoir gérer la mise en oeuvre de la loi de protection des phanérogames marines.
Dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (“région PACA”, France), des systèmes de surveillance de l’herbier à P. oceanica ont été mis en place dans les années 1980 (BOUDOURESQUE et al., 1990 ; NIERI, 1991 ; NIERI et al., 1993b). Leur objectif est double : (1) suivre l’évolution (régression, stabilité ou progression) de l’herbier, (2) utiliser l’herbier (dont on connait la sensibilité à la pollution) comme un indicateur global de la qualité des eaux littorales. Le système le plus important, avec 24 puis 33 sites, est le RSP (Réseau de Surveillance Posidonies), mis en place à l’initiative du Conseil Régional (NIERI et al., 1993a). Entre 1991 et 1993, un quart des sites ont présenté des régressions plus ou moins importantes, un quart des sites des signes de progression de l’herbier, tandis que les autres paraissaient stables (CHARBONNEL et al.,1993). Dans la baie du Prado à Marseille, des progressions localisées de l’herbier ont également été mises en évidence, que l’on peut mettre en relation avec la mise en service d’une station d’épuration (en 1988) et le détournement d’un fleuve côtier (L’Huveaune), aux eaux très polluées, vers cette même station d’épuration (NIERI et al., 1993b). Ces cas de progression de l’herbier, qui ne concernent en Méditerranée que la région PACA, sont un signe encourageant, qui traduit l’efficacité de la politique d’épuration des eaux et de protection de P. oceanica qui y a été menée; mais il convient de rappeler que la croissance de P. oceanica est très lente (MEINESZ et LEFEVRE, 1984), alors que la régression d’un herbier peut être assez rapide, de telle sorte que, en termes de surface, la superficie totale de l’herbier continue à décliner, même dans cette région.
Le chalutage sur les herbiers profonds à P. oceanica constitue une des causes de leur régression, tout au moins lorsque les rhizomes sont déchaussés (PAILLARD et al., 1993), ce qui est fréquent, en raison du déficit sédimentaire des fonds littoraux méditerranéens (PASKOFF, 1993). En principe, le chalutage est interdit à moins de 3 milles des côtes (France) ou au dessus de l’isobathe des 50 m (Italie, Espagne). Les herbiers à P. oceanica, qui sont généralement situés à moins de 3 milles des côtes et qui sont toujours situés à moins de 50 m de profondeur, devraient donc être préservés du chalutage. En fait, ces règles ne sont pas respectées, comme en témoignent par exemple les traces de chalut décrites par PAILLARD et al. (1993) en rade de Giens (Var). La mise en place de récifs anti-chaluts constitue une solution pour que la législation soit respectée. De tels récifs ont été mis en place sur la Côte Bleue, près de Marseille (BACHET, 1992) et autour de l’île de Nueva Tabarca, près d’Alicante (RAMOS, 1990).
Charles François BOUDOURESQUE, Vincent GRAVEZ, Alexandre MEINESZ, Heike MOLENAAR, Gérard PERGENT et Pierre VITIELLO