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L’herbier à Posidonia oceanica est aujourd’hui considéré comme un des écosystèmes les plus importants, voire l’écosystème-pivot de l’ensemble des espaces littoraux méditerranéens. Ces herbiers, patrimoines millénaires, sont actuellement menacés : les sites les plus facilement accessibles à l’homme ont été urbanisés au cours de ce dernier siècle et c’est, dans certaines zones, une grande partie des petits fonds littoraux qui sont irrémédiablement perdus.

Données générales sur l’herbier à Posidonia oceanica

La Posidonie (Posidonia oceanica (Linnaeus) Delile) est une phanérogame marine de la famille des Potamogetonaceae endémique de la Méditerranée. Elle constitue d’immenses prairies sous-marines, appelées herbiers, qui se développent depuis la surface jusqu’à 30 à 40 m de profondeur. La formation des herbiers, leur dynamique et leur densité dépendent étroitement du milieu environnant : nature du substrat sur lequel elles se fixent, force et direction des courants sous-marins, profondeur, qualité des eaux, etc. L’herbier à P. oceanica forme une ceinture quasi-continue tout autour de la Méditerranée occidentale, interrompue localement au niveau des estuaires des grands fleuves et de leur zone d’épandage.

Les feuilles de Posidonia oceanica mesurent généralement 40 à 80 cm de long et 1 cm de large ; Elles sont groupées en faisceaux de 4 à 8 feuilles environ. Chacun de ces faisceaux de feuilles est situé à l’apex d’un axe, appelé rhizome, qui croît horizontalement ou verticalement en fonction de l’espace disponible, de la lumière et de l’importance des apports sédimentaires. Les rhizomes et les racines constituent de véritables pièges à sédiments ; peu putrescibles, ils édifient ce que l’on appelle les mattes, stabilisant ainsi les fonds meubles. Ces mattes peuvent atteindre une épaisseur de 8 m, à raison d’un mètre par siècle. La dégradation accidentelle de ces mattes peut signifier, localement, la mort de l’herbier par écroulement, érosion et bris des plants.

Si la floraison est plus fréquente qu’on a pu le croire, la maturation des graines semble relativement rare et Posidonia oceanica se reproduit surtout par bouturage. En effet, des rhizomes, cassés lors des tempêtes et emportés par les courants, peuvent recoloniser d’autres fonds et former de nouvelles touffes.

Importance de l’écosystème à Posidonia oceanica

L’herbier à Posidonia oceanica est aujourd’hui considéré comme un des écosystèmes les plus importants, voire l’écosystème-pivot de l’ensemble des espaces littoraux méditerranéens. Au même titre que la forêt en milieu terrestre, l’herbier à P. oceanica est le terme ultime d’une succession de peuplements et sa présence est la condition sine qua non de l’équilibre écologique de beaucoup de fonds littoraux méditerranéens :

  • L’herbier intervient sur la qualité des eaux littorales, grâce à une importante production d’oxygène et sur leur transparence par le piégeage de sédiments
  • L’herbier se trouve à la base de nombreuses chaînes alimentaires, par la production de biomasse végétale (dont une partie est exportée vers d’autres milieux) et par la production de biomasse animale. Cette formidable production a pour effet d’attirer et de concentrer une faune variée, souvent d’intérêt économique pour la zone littorale concernée.
  • l’herbier constitue un lieu de gîte, de frayère et de nurserie pour de nombreuses espèces animales qui y trouvent nourriture et protection.
  • L’herbier joue également un rôle fondamental dans la protection hydrodynamique de la frange côtière et des plages, par atténuation de la puissance des vagues et des courants et stabilisation des fonds sableux. Sans cette protection contre l’érosion, le trait de côte actuel serait probablement fortement modifié.

Au total, l’ensemble des travaux scientifiques consacrés à l’herbier à Posidonia oceanica, ainsi que les observations des différents services en charge de l’aménagement, de la gestion et de la protection du littoral, font apparaître que la préservation des herbiers est un élément majeur du maintien des équilibres littoraux méditerranéens, tant biologiques que physiques.

Un équilibre menacé

A partir du début des années 1970s, les scientifiques et les administrations concernés par la gestion des espaces littoraux ont pris conscience de la régression quasi-générale de l’herbier à Posidonia oceanica sur le littoral de la Méditerranée Nord-occidentale, notamment aux abords des agglomérations et des zones portuaires. En effet, l’accroissement constant des activités humaines sur le littoral constitue un facteur de déstabilisation de l’équilibre, jusqu’alors établi, du milieu marin. On peut avancer plusieurs causes à ce phénomène :

  • Modification des courants et des bilans sédimentaires aux abords des côtes par les aménagements des ports, des digues et des plages gagnés sur la mer ;
  • Altération de l’herbier, souvent suivie d’une érosion, due aux engins de pêche traînants (chaluts, ganguis), aux mouillages aménagés et mouillages forains (navigation de plaisance) ;
  • Augmentation de la turbidité des eaux par les rejets en mer qui entraînent d’une part une diminution de la photosynthèse en profondeur en perturbant la pénétration de la lumière dans l’eau et qui favorisent d’autre part une eutrophisation des eaux responsable de blooms phytoplanctoniques ;
  • Pollution des eaux par les rejets en mer, action des détergents, du mercure, etc.

L’herbier à Posidonia oceanica, patrimoine millénaire, est actuellement menacé : les sites les plus facilement accessibles à l’homme ont été urbanisés au cours de ce dernier siècle et c’est, dans certaines zones, une grande partie des petits fonds littoraux qui sont irrémédiablement perdus. L’urgence d’une protection et d’une gestion raisonnée du domaine littoral et des herbiers de phanérogames marines a débouché sur des initiatives concrètes au niveau communautaire, national, régional et local :

  • (i) prise en considération de l’herbier à Posidonia oceanica dans le cadre de la conservation des habitats naturels (Directive Européenne du 21 mai 1992 – 92/43/CEE). Les herbiers marins sont également pris en compte par l’Unesco, depuis la conférence de Rio en 1992 ;
  • (ii) arrêtés de protection de Posidonia oceanica et Cymodocea nodosa (19 juillet 1988, J.O. du 9 août 1988) et de Zostera marina et Z. noltii (9 mai 1994, J.O. du 26 juillet 1994) et prise en compte des herbiers dans le décret d’application de la « loi littoral » du 20 septembre 1989. La présence d’herbiers doit également être pris en considération dans les dossiers d’aménagement et les études d’impact ;
  • (iii) mise en place en 1984 du Réseau de Surveillance Posidonies (RSP), à l’initiative du Conseil Régional. La surveillance s’effectue sur 24 sites, le long du littoral de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, et depuis 1993 sur 6 nouveaux sites ;
  • (iv) enfin, mise en place de systèmes de surveillance de l’herbier à l’échelle locale, par certaines municipalités (par exemple en rade de Marseille, Golfe de Giens et Baie de Cassis).

Vincent Gravez