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L’encorbellement à Lithophyllum lichenoides – GIS Posidonie

Lythophyllum_byssoides

Cet article fait partie d’une grande série sur le thème des végétaux, peuplements et paysages marins menacés de Méditerranée. L’ensemble de ce travail a été publié en 1990 sous la forme d’un ’Livre Rouge’ dans les Séries techniques du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (voir référence complète ci-dessous).

Structure et dynamique

Cette formation est la plus connue du bassin méditerranéen occidental ; sa structure, ses peuplements et sa répartition ont été bien étudiés (PICARD, 1954 ; BLANC et MOLINIER, 1955 ; PERES et PICARD, 1964, etc) ; elle a été successivement désignée sous les noms de “trottoir à Tenarea“, “trottoir à Lithothamnion“, ou de “trottoir à Lithophyllum tortuosum“.

La dénomination “trottoir” est impropre : ce terme ne devrait s’appliquer qu’aux formations à vermets de Sicile. La formation à Lithophyllum lichenoides devrait plutôt être désignée sous le nom de “corniche”, “bourrelet” ou “encorbellement”. En effet, aux différents stades de son développement, on assiste à un changement morphologique net : dans les cas les plus simples, on n’observe qu’une couverture dense de thalles sur une hauteur de 20 à 30 cm ; il n’ y a alors pas cimentation. A un stade ultérieur, on observe un bourrelet qui se développe en largeur, pouvant évoluer en une corniche en porte-à-faux de 1 à 2 m de largeur.

Cette construction est, en Méditerranée, et peut-être pour l’ensemble du benthos mondial, celle qui se développe au niveau le plus élevé. On la trouve légèrement en dessus du niveau moyen, dans la zone du déferlement (étage médiolittoral). Quand l’eau est calme, l’encorbellement émerge en général complètement au dessus de l’eau.

Celle-ci ne se développe que sur substrat rocheux dur, qu’il soit calcaire, volcanique ou cristallin, et seulement sur des côtes très battues exposées aux vents dominants. Mais la hauteur véritable au dessus du niveau moyen est variable en fonction de l’importance de l’agitation. Dans les fissures, encoignures et petites criques ouvertes à la houle du large, son développement en largeur et en épaisseur peut localement s’amplifier.

Du point de vue de la structure, la corniche est monospécifique, entièrement formée par l’empilement des thalles calcaires, en coussinets, de Lithophyllum lichenoides. La structure interne va du plus simple (thalles juxtaposés sans cimentation) au plus complexe, auquel cas on observe trois couches successives (fig. ) :

  • Une couche externe poreuse de couleur rose violacée, formée de coussinets algaux vivants (1), ne mesurant en général que quelques centimètres d’épaisseur. Elle est surtout développée sur la partie la plus externe de la corniche et sur sa surface supérieure.
  • Sous la couche vivante (1) s’observe une zone compacte (2) d’épaisseur variable, résultat d’une évolution complexe (NESTEROFF, 1965 ; BLANC et MOLINIER, 1955) qui comprend le dépôt de sédiments fins entre les branches des coussinets algaux, après leur mort, puis la formation d’un ciment calcaire microcristallin très dur (micrite). Cette partie dure est souvent divisée en couches concentriques reposant l’une sur l’autre de façon assez lâche. Cette structure très spéciale n’est pas encore bien comprise mais elle est sans doute due à l’enregistrement de périodes de fortes pressions atmosphériques (anticycloniques) (LABOREL et al., 1983). De telles conditions météorologiques entraînent une baisse de niveau remarquable, pouvant dépasser 30 cm et pouvant durer près de deux mois d’affilée (la dernière en date étant celle de janvier-février 1989). Si ces émersions se produisent en période hivernale, elles ne semblent pas laisser de traces visibles (LABOREL, obs. inéd.) ; par contre si elles se produisent en été, le dessèchement et la chaleur conjuguée peuvent entraîner une mortalité des peuplements de Lithophyllum lichenoides telle qu’une période assez longue est nécessaire à la reconstitution du peuplement.
  • La surface inférieure de la corniche (3) est morte et recouverte d’assemblages animaux et végétaux sciaphiles. Parmi les constituants animaux, on note divers types d’organismes destructeurs (éponges du genre Cliona, datte de mer Lithophaga, etc.) qui perforent la roche ; la partie inférieure est donc une zone de destruction accélérée sous l’effet de facteurs biologiques et qui peut d’ailleurs s’amplifier en cas de pollution organique.

L’épaisseur relative de ces trois zones varie en fonction des conditions physicochimiques, biologiques, ainsi que de l’histoire géologique de la région considérée.

Distribution géographique

Si l’espèce Lithophyllum lichenoides est connue de toute la Méditerranée occidentale, et récemment de Méditerranée orientale, les encorbellements à Lithophyllum lichenoides de grande taille semblent relativement rares.

En Espagne, citons celui des Iles Medes (Catalogne) (BALLESTEROS, 1984c ; GILI et ROS, 1982).

En Françe, plusieurs survols récents par hélicoptère ont permis de mettre en évidence la rareté des corniches de grande taille. De telles constructions sont signalées dans les Pyrénées-Orientales (DELAMARE-DEBOUTEVILLE et BOUGIS, 1951), près de Marseille (BLANC, 1968), aux îles d’Hyères : Grand Langoustier, pointe Escampobariou, îlot de la Gabinière, île de Bagaud (LABOREL et al., 1983) ; sur les côtes des Alpes-Maritimes : à l’est de d’Agay (MEINESZ, com. pers.) ; en Corse, les encorbellements les plus spectaculaires sont ceux de Cala Lititzia (Réserve Marine de Scandola) (LABOREL et al., 1983 ; BIANCONI et al., 1987) ; ces formations sont abondantes le long de la côte occidentale jusqu’à Bonifaziu.

En Sicile (Italie), des encorbellements ont été signalés aux îles Egadi (GIACCONE et SORTINO, 1974).

Dans l’Adriatique, des encorbellements ont été signalés à l’île Pelagosa (SCHIMPER et FABER, 1935) et en Yougoslavie (LOVRIC, 1971).

Menaces

En France, les encorbellements à L. lichenoides ont régressé dans les zones polluées. Dans les Pyrénées Orientales des documents photographiques anciens (JOUBIN, 1906) laissent entendre qu’ils étaient plus développées vers la fin du siècle dernier que de nos jours. En région marseillaise, de nombreux éléments de ces constructions existent sur toutes les côtes rocheuses, mais tous ceux qui bordent le golfe de Marseille ont été progressivement tués par la pollution depuis la fin des années 1950. Certains petits encorbellements subsistent sur les côtes des calanques. Dans la région de La Ciotat, des fragments prélevés avant la dernière guerre sur l’île Verte (ROUVIER, com. pers.), comparés au développement actuel de l’algue au même endroit, suggèrent que la croissance actuelle de l’algue pourrait être réduite, peut être sous l’influence de la pollution.

L’un des plus beaux encorbellements connus, celui du Grand Langoustier à Porquerolles, qui devrait être considéré comme un monument naturel, apparaît actuellement en mauvais état, et en tous cas plus ou moins inactif, sans doute en raison des eaux de surface polluées en provenance de l’agglomération toulonnaise.

La situation même des encorbellements d’algues calcaires, comme celui à L. lichenoides, au niveau du médiolittoral, ainsi que leur structure poreuse, rendent ces formations très vulnérables aux pollutions de surface telles que les eaux polluées des émissaires, les films d’hydrocarbures, etc. L’eau dessalée, même légèrement, empêche leur formation. Une menace pourrait provenir également des ions phosphates des détergents (LABOREL, obs. inéd.).

En outre, les encorbellements constituent des points de débarquement commodes pour de petites embarcations : l’encorbellement de Cala Litizia est ainsi fréquemment visité, d’autant plus que l’existence de cette curiosité naturelle commence à être connue d’un public de plus en plus large ; or, on ignore les capacités de résistance au piétinement de ces formations.

L’édification d’un encorbellement semble un phénomène d’une lenteur exceptionnelle (plusieurs siècles), et il est certain que les encorbellements actuels doivent impérativement être protégés.

Cet article est issu d’un travail réalisé pour le Programme des Nations Unies pour l’Environnement et l’IUCN par les GIS Posidonie en Collaboration avec de nombreux chercheurs méditerranéens et publié sous le titre : Livre Rouge “Gérard Vuignier” des végétaux, peuplements et paysages marins menacés de Méditerranée. 250p. Par BOUDOURESQUE C.F., BALLESTEROS E., BEN MAIZ N., BOISSET F., BOULADIER E., CINELLI F., CIRIK S., CORMACI M., JEUDY DE GRISSAC A., LABOREL J., LANFRANCO E., LUNDBERG B., MAYHOUB H., MEINESZ A., PANAYOTIDIS P., SEMROUD R., SINNASSAMY J.M., SPAN A., VUIGNIER G., 1990. MAP Technical Reports Series N°43, UNEP, Athens, PNUE, IUCN & GIS Posidonie.

Catégories : Protection espèces et habitats