Diverses techniques de réimplantation de Posidonia oceanica ont été mises au point (COOPER, 1976, 1979, 1982 ; CINELLI, 1980 ; GIACCONE et CALVO, 1980 ; MEINESZ et al., 1990, 1992 ; MOLENAAR, 1992 ; MOLENAAR et MEINESZ, 1992 ; MOLENAAR et al., 1993 ; GENOT et al., 1994). Des sites de réimplantations, généralement expérimentaux, totalisant plus de 150 000 boutures, existent en particulier à Marseille, Giens, Cannes, Golfe-Juan, Nice (France continentale), Monaco et Galeria (Corse). La mise au point des techniques de réimplantation apparaît comme une nécessité : la régénération naturelle des herbiers étant très lente (MEINESZ et LEFEVRE, 1984), il pourrait s’avérer nécessaire, dans les secteurs où la régression a été considérable (Genova, Marseille, par exemple) d’accélérer la régénération naturelle par des réimplantations. Naturellement, il conviendrait de s’assurer au préalable que les causes de la régression de l’herbier ont cessé d’agir : les contraintes propres au milieu marin rendent en effet ces réimplantations relativement coûteuses, et il ne serait pas cohérent d’essayer de régénérer quelques hectares d’herbier (en 10 à 50 ans) dans un secteur ou plusieurs hectares d’herbier disparaissent chaque année du fait des activités humaines. Au total, les réimplantations doivent s’intégrer à une stratégie globale de gestion des herbiers prenant en compte les éléments suivants : (1) Surface totale des herbiers existants ; (2) surfaces perdues chaque année du fait de la régression et causes de cette régression ; (3) surfaces gagnées chaque année du fait de la régénération naturelle (si elle existe) ; (4) surfaces que l’on peut espérer gagner par réimplantation, avec un échéancier à 10, 20 et 50 ans ; (5) coût des réimplantations, et comparaison des effets d’un investissement identique alternatif dans la maîtrise des causes de la régression (épuration des eaux, mise en place de récifs anti-chaluts, équipement des mouillages forains, création d’espaces protégés, etc.).
Il existe malheureusement un risque sérieux que la possibilité technique de réimplanter soit détournée de ses objectifs pour servir d’alibi à de nouvelles destructions. Dans plusieurs secteurs, il semble que l’on ait planté pour planter, sans aucune stratégie d’ensemble, au gré de sollicitations liées au désir de se refaire une ‘virginité écologique’. On a planté dans des secteurs où P. oceanica n’existe pas naturellement, et semble ne jamais avoir existé : quelle justification y a-t-il à vouloir tenter de remplacer un fond de sable infralittoral (qui n’a rien d’un désert biologique, ce que certains élus ne savent pas) par quelques touffes de P. oceanica ? On a planté dans des zones où la régression de l’herbier se poursuit rapidement. A Cannes, une partie des réimplantations ont été effectuées dans un herbier stable et ancien à Cymodocea nodosa, autre phanérogame marine également protégée par la loi (arrêté du 19 Juillet 1988). Détruire une espèce protégée pour la remplacer par une autre espèce protégée ne constitue pas, à l’évidence, une stratégie bien cohérente. Plus grave, des réimplantations de P. oceanica ont été proposées comme mesure compensatoire dans le cadre de projets de construction ou d’agrandissement de ports de plaisance. C’est le cas par exemple du projet d’agrandissement du port de Sanary-sur-Mer : en compensation de la destruction (certaine) d’une importante surface d’herbier, il était prévu de planter quelques milliers de boutures dans une zone où rien n’indiquait que des herbiers aient existé dans le passé, ni que P. oceanica soit capable de s’y maintenir, en vue de la reconstitution (éventuelle ; dans un futur indéterminé) d’un herbier. La délibération du Conseil municipal de Sanary-sur-Mer du 6 Août 1992 approuvant ce projet a été ultérieurement annulée par le Tribunal Administratif de Nice (jugement du 3 Décembre 1992).
Du fait de la protection légale de Posidonia oceanica, les opérations de réimplantation, qui impliquent la récolte et le transport de boutures, nécessitent la demande d’une autorisation au Ministère de l’Environnement (CREBASSA, 1992). Jusqu’en 1992, ce dernier a délivré des autorisations permanentes (qui devaient toutefois être validées chaque année) ; ces autorisations ne précisaient pas les dates, quantités concernées et localités. Face à la dérive constatée en matière de réimplantations, le Ministère de l’Environnement (sur avis du Conseil National de Protection de la Nature) a décidé en 1993 de ne plus accorder d’autorisations permanentes. Cependant, des dérogations ponctuelles (avec indication de date, quantité et localité) ont été accordées en 1993 (100 boutures dans le “posidonium” de la baie de La Palud, à Port-Cros, et 1000 boutures à Golfe Juan) et en 1994.
Afin d’éviter que les techniques de réimplantation de Posidonia oceanica ne servent d’alibi à la poursuite de la destruction des herbiers existant, il conviendrait de mettre au point un code de bonne conduite. Les bases de ce code pourraient être les suivantes. (1) Le site précis (et le biotope) de réintroduction ont été autrefois occupés par P. oceanica ; la présence de mattes mortes (enfouies ou non sous le sédiment), ou des cartes anciennes, doivent en témoigner. La réimplantation dans des biotopes qui n’ont pas été occupés autrefois par P. oceanica ne peut être envisagée que si une étude démontre que les conditions du milieu ont été profondément modifiées par un aménagement littoral (réalisé plus de 10 ans auparavant) et sont devenues favorables à P. oceanica; (2) Les causes de la disparition de P. oceanica (pollution, chalutages, ancrages, etc) doivent avoir cessé d’agir ; on doit donc démontrer que les herbiers ou les touffes isolées les plus proches du site ont amorcé un processus de re-colonisation naturelle. (3) La réimplantation ne doit pas se faire à proximité d’herbiers très étendus ; en effet, il n’y a pas lieu de planter pour planter ; il est inutile d’ajouter quelques dizaines ou centaines de m² (0.001 à 0.01 ha) à un herbier de plusieurs centaines ou milliers d’hectares. (4) La réimplantation ne peut se faire en compensation de la destruction d’un herbier ; pour éviter cette dérive, aucune réimplantation ne devrait avoir lieu dans un rayon de 10 km autour d’une destruction délibérée (dans le cadre d’un aménagement littoral), pendant une période de 10 ans ; des dispositions similaires existent en milieu continental, où les zones incendiées sont déclarées inconstructibles. (5) La réimplantation sur le site même d’une destruction provisoire devrait toutefois être autorisée ; c’est le cas de la fermeture d’une tranchée ouverte à l’occasion de fouilles archéologiques, ou de l’ensouillage d’une canalisation. (6) A l’exception du cas particulier qui précède (point 5), toute réimplantation doit être précédée par une réimplantation expérimentale : elle portera sur 200 à 500 boutures (avec éventuellement la comparaison de plusieurs méthodes) ; un suivi scientifique, pendant trois ans, devra démontrer le succès de l’expérience pour que puisse être envisagé une opération de réimplantation à plus grande échelle. (7) Le prélèvement des boutures destinées à la réimplantation ne devrait pas mettre en péril les herbiers existants ; les boutures ne seront prélevées dans un herbier qu’après étude de la dynamique de ramification des rhizomes (production naturelle de nouveaux faisceaux), permettant de déterminer le nombre maximal de boutures susceptibles d’être prélevées par an et par m². L’utilisation de boutures-épaves, théoriquement intéressante, devrait être évitée en raison du caractère irrégulier et imprévisible du succès. (8) Les réimplantations devront s’insérer dans une stratégie globale de gestion des herbiers (voir plus haut).
Charles François BOUDOURESQUE, Vincent GRAVEZ, Alexandre MEINESZ, Heike MOLENAAR, Gérard PERGENT et Pierre VITIELLO